Si le plateau des Millevaches évoque de prime abord un espace naturel régional, c’est loin d’être le cas de la ferme des Mille Vaches, ferme-usine de Drucat, dans la Somme, symbole de modernité pour ses défenseurs, mais véritable enfer pour les animaux comme pour les salariés.

Une décision politique

Contrairement à d’autres exploitations agricoles, c’est un entrepreneur dans le BTP du Nord-Pas-de-Calais, Michel Ramery, qui est à la tête de cette immense usine. Le projet naît en 2009 de l’association de trois producteurs laitiers pour mettre en commun leur quota au travers d’une société civile laitière, Lait Pis Carde. En 2013, deux autres producteurs les rejoignent et la structure produit alors 2,8 millions de litres de lait avec 300 vaches.
Michel Raméry avait convié en 2011 différentes personnalités locales, dont le maire Henri Gauret, maire de Drucat, des conseillers généraux et le sous-préfet de la Somme, pour la visite d’une ferme allemande de 800 vaches, dotée d’un méthanisateur. Suite à cette visite, une enquête d’utilité publique avait été lancée dans le but de construire cette fameuse ferme. En dépit d’une forte opposition des riverains, le commissaire enquêteur donne un avis favorable pour la construction, « sans préjudice pour l’environnement ».
L’association Novissen, « Nos villages se soucient de leur environnement » , se crée en novembre 2011 pour s’opposer au projet. Europe Ecologie-Les Verts, la Confédération paysanne, la Coordination rurale, l’association de Brigitte Bardot et l’ONG de défense de la condition animale L214 rejoignent le collectif. Le mode d’élevage y est remis en cause ainsi que les conditions d’hygiène et surtout, l’impact sur l’environnement.
Novissen tente à plusieurs reprises des recours à la préfecture sans succès. Les actions se multiplient alors sur le terrain. Par deux fois, la ferme des mille vaches est visitée par des membres de la Confédération paysanne, en immobilisant des engins pour la première fois et même en démontant certaines installations la deuxième. Michel Raméry dénonce un saccage et des dégâts de plus de 100 000 euros. Cinq militants sont immédiatement placés en garde à vue. En réponse à ces gardes à vue, le conseiller agriculture de François Hollande est retenu en otage par d’autres militants. Au total, ce sont neuf militants qui ont été condamnés à plusieurs mois de prisons avec sursis pour avoir défendu une autre vision de l’agriculture, non industrialisée.
Stéphane Le Foll lui-même a tenu à s’exprimer sur le sujet, en rappelant qu’il n’a « pas soutenu » le projet, contraire à la nouvelle loi d’avenir de l’agriculture, en soulignant toutefois que le projet « respecte les règles ».

Une agriculture productiviste à tout prix

Sous couvert de modernité, c’est en réalité un enfer qui se profile pour les bêtes parqués de la ferme. Le projet des mille vaches, c’est avant tout faire de l’argent en vendant du lait à bas coût et en revendant l’électricité produite ensuite par le méthanisateur.
De nombreux articles ont été écrits pour alerter l’opinion publique des conditions de vie des bêtes et de travail des salariés.
Pour un ancien salarié, sur cet énorme cheptel, les vaches sont sales et manquent de soin (sabots qui pourrissent, ongles trop longs…). La maltraitance des animaux se caractérise aussi par trois traites par jour contre deux habituellement dans les exploitations de taille raisonnable pour, en vue d’augmenter la productivité. Les vaches sont dans un tel état qu’il arrive qu’il en meurt 2 ou 3 par semaine.
La ferme des mille vaches ne respecterait même pas ses engagements sur le nombre d’animaux qui cohabitent. Le nombre de vaches devait être de 500, il est en réalité de 723, chiffre que Michel Raméry ne dément pas.

Par delà l’exemple unique cette ferme, il convient de s’interroger sur ce type d’élevage. La ferme des mille vaches est aussi un prototype qu’on tente d’importer dans notre pays. L’industrialisation de notre agriculture passe par là, pour ne se soucier que de rentabilité, d’autant plus que les quotas n’existeront plus. A ce titre, la ferme des mille vaches est plus une usine qu’une simple exploitation d’où elle n’a plus que le nom comme qualificatif.
A l’heure du projet de loi pour l’avenir de l’agriculture, nous devons nous demander quelle agriculture nous voulons pour demain, et si nous sommes en train de programmer la mort de notre agriculture française, celle des exploitations de taille raisonnable. D’autant plus aujourd’hui, alors que les jeunes générations ne veulent plus reprendre les exploitations familiales qui ne sont plus rentables face aux groupes industriels et alors que le taux de suicide chez les agriculteurs est très élevé (un tous les deux jours).

Rédacteur Web