Diplômé de Sciences Po, Alexis Feertchak est le créateur du journal IPhilo.fr. Il est collaborateur au Figaro Vox et travaille pour le cabinet d’intelligence artificiel Planeting.

  • Les primaires ouvertes : symptôme ou remède de la crise politique française ?

Les primaires républicaines vont-t-elles marquer un retour digne de la fonction présidentielle ou une dégradation de son image, cristallisant la crise politique profonde que traverse le pays ? Dans l’atmosphère gaullienne qui prévaut encore aux institutions de la Ve République, le recours aux primaires, quoique particulièrement encadrées, peut apparaître incongru, souligne l’intervenant. Car si l’usage des primaires dans le cadre des institutions de gauche peut sembler conforme à la logique du parti, son recours à droite peut apparaître révolutionnaire. Comparant l’actuelle campagne des primaires à droite comme un « combat de coquelets », on déplore de n’assister qu’à un piètre combat, où les lutteurs, plutôt que d’exprimer des postures fortes et d’incarner la figure de chef d’Etat, s’emploient à rameuter quelques militants à leur cause, tentant de gagner par leurs voix la légitimation qu’ils ont perdu à l’échelle nationale. « Les primaires ouvertes pourraient être le symptôme par excellence d’une classe politique qui a perdu depuis longtemps la confiance du peuple », souligne Alexis Feertchak.

Les partis politiques ne font plus consensus. Les sondages s’en font l’écho : en 2013, le Baromètre CEVIPOF indiquait que les partis politiques regroupaient 0% d’opinion très favorables, contre 11% d’opinions plutôt favorables. De même, près de 30% des Français seulement considèrent que la démocratie fonctionne « assez » ou « très bien »[1]. Face à cette défiance, l’intervenant en est sûr : les primaires constituent davantage un symptôme supplémentaire de la crise politique française. Et de souligner : « la droite n’est pas davantage prête à gouverner qu’au lendemain de sa défaite ».

  • Les primaires à droite : un fait social

La crise politique actuelle comporte une nature à la fois institutionnelle et idéologique. Les primaires à droite n’ont pas su faire émerger de tête de proue véritable : pour l’intervenant, le passé porté par les candidats semble tributaire de dommages trop profonds. A Nicolas Sarkozy, qui essaya d’incarner le retour du « sauveur du parti », est acculée une cohorte d’infidèles, n’oubliant pas le mandat écoulé ; à Juppé, on reprochera le passé judiciaire ; à Bruno Le Maire, on fustigera son attitude pastichant celle de son aîné (ndlr. qualifié par Alexis Feertchak de « Juppé juvénile ») ; enfin, à François Fillon, on reproche l’absence de magnétisme. Les autres candidats ? Trop affiliés au « registre littéraire », certains chercheraient seulement à récupérer un portefeuille, si l’on en croit l’analyste. C’est à ce titre que Feertchak déduit : désormais réduite à la bataille d’égos, la primaire à droite ne participe qu’à la fabrication d’hommes politiques guidés par leur narcissisme. De la mise en scène factice d’un débat politique à la « réduction drastique du champ idéologique traditionnel des droites françaises », résulterait le décalage de ces acteurs politiques avec les réalités du pays dont ils sont garants.

  1. Des politiciens narcissiques déconnectés du réel

Non que le phénomène soit nouveau, le narcissisme en politique est un contingent malheureux des primaires à droite. Désormais, le politicien est tributaire de l’image qu’il fait rayonner, par l’intermédiaire des médias qui lui renvoient une image d’immédiateté fondamentalement différente de celle, idéalisée et incarnée du pouvoir monarchique. Une image où « aucun élément transcendant ne permet au premier des Français d’être guidé dans son action par une image idéalisée de son propre rôle », souligne le conférencier. Politique désacralisée, où le représentant du peuple est un « Président normal ». Condamnant des élections désormais vouées à apparaître comme une sorte de « concours de beauté », Feertchak souligne que les candidats à la primaire tâtonnent, cherchant à faire ressurgir des rapports directs entre le « peuple » et leur propre personne, tout en soulignant leur posture propre. A « l’identité clivante » d’un Sarkozy, s’opposera « l’identité heureuse » d’un Juppé.

« Il est difficile de penser… et d’agir dans une salle pleine de miroir » (Russel Banks) : derrière cette phrase s’ébauche l’écueil du narcissisme en politique. Prenant les partis politiques, néo-féodalités, comme outils de légitimité, les candidats à la primaire en oublient d’ériger leur ligne politique. « Ainsi, ni la pensée ni l’action ne peuvent se déployer par le truchement de primaires », conclut l’intervenant.

  1. Les primaires comme acteur de la sclérose de l’action politique

« La politique est l’art des conséquences, pas celui des principes (qui sont à la portée de tout un chacun et qui ne supposent pas d’art particulier) », indique Marcel Gauchet. Selon le philosophe, l’Homme d’Etat doit tenir pour rôle de « conduire les conséquences pratiques d’un projet politique fondé sur des principes qui, eux, auront été choisis par le peuple lui-même ». A l’heure où la démocratie semble oublier, souligne l’intervenant, qu’il est nécessaire que l’Etat conserve une légitime autonomie sur le peuple qu’il gouverne, eu égard des qualités méritocratiques des Hommes qui sont censés l’incarner, cette question revient au-devant de la scène. Aux Hommes d’Etat d’assumer les conséquences, aux principes d’être régis par le peuple. Car « le Président n’est pas l’image du peuple, il en est la tête », indique justement Feertchak en dénonçant la posture de normalité défendue par l’actuel président.

D’où vient alors le déficit démocratique actuel ? Du fait que les principes des Français ne s’incarnent pas dans un projet politique présenté à chaque élection ou que les hommes d’Etat à sa tête ne respectent pas le projet (idées et valeurs) pour lequel ils ont été élus ? Pour le conférencier, la réponse est claire : « on sent bien que c’est davantage dans l’art des conséquences que les hommes politiques, habiles à se faire élire sur des principes, échouent à agir pour que ces principes et ces valeurs ne soient pas seulement des abstractions, mais également des réalités qui, au fil des ans, forment le sens de l’histoire de la France », indique-t-il. Et désormais, les politiciens se cantonnent au rôle du commentateur, sans jamais s’élever à l’échelle de l’art des conséquences, sans éclairer « la volonté générale » (Rousseau).

Exemple révélateur de l’inaction politique : « les territoires perdus de la République », enclaves dans lesquelles « la souveraineté du peuple français dans son ensemble […] n’est plus qu’une fiction » ; où prospère un « peuple qui hait la France […] retranché dans un repli identitaire marqué par un islamisme galopant très souvent salafiste », souligne le conférencier. Concurrence victimaire, antisémitisme, racisme anti-blanc, taux de chômage frôlant les 50% : tel est le lot commun de ces noyaux, dont émergerait directement « la radicalisation djihadiste ». Et Feertchak de dénoncer la litanie de discours proférés à cet égard (retour du régalien,…) sans que jamais les mesures législatives ou autoritaires ne fussent appliquées. Une attitude que devra adopter la droite si elle ne veut pas échouer sur la période 2017-2022 remarque le conférencier. La solution ? Annoncer, d’entrée de jeu sur le siège présidentiel, que le pays est en passe d’entrer dans une « phase historique d’incertitude manifeste ». Pour Feertchak, les primaires ne vont pas permettre de faire surgir un candidat capable de tenir un tel discours. Un candidat « au-dessus de la mêlée et apparaiss[ant] détaché de tout effet de groupe, de classe, de parti […] pour qu’il soit évident que son action à venir, marquée par une incertitude manifeste, sera conduite par son seul souci de l’intérêt général et non par celui de quelconques intérêts particuliers ».

 

  • Primaires ouvertes : le fantôme idéologique des droites historiques

Avec un trop grand nombre de candidats présentés et un champ idéologique similaire, les candidats de la primaire ouverte à droite proposent les mêmes solutions mais dénomment les problèmes sous-jacents de manière différente. Le cas de l’Union Européenne s’en fait l’écho : on dénonce de toute part l’écueil qu’elle constitue, proposant de concert la formation d’une « Nouvelle Europe » où seraient harmonisées les politiques budgétaires, sorte d’Eurozone intégrée dans un marché commun, organisé par les règles de la concurrence. Tous s’accordent également à dénoncer Schengen – absence d’étanchéité des frontières globales de l’Union Européenne ne remettant pas en cause l’absence de frontières des Etats membres, et l’absence d’application du principe de subsidiarité mise en œuvre par Bruxelles. Et tous de plaider le retour d’une nouvelle dynamique européenne fondée sur le couple franco-allemand…

L’écueil de cette uniformisation de la pensée ? Une « perte de repères par rapport aux références historiques de la droite », une absence de définition claire de la manière qu’il convient d’employer pour construire cette « Nouvelle Europe ». Car le discours ne prend pas en compte les nouveaux défis auxquels se confronte l’Union Européenne : l’échec de l’harmonisation budgétaire, la crise des migrants,… Sondages comme votes successifs au sein des Etats membres se font pourtant le reflet du rejet de l’Union Européenne à l’heure actuelle : 55% des Français déclarent souhaiter davantage d’autonomie des Nations par rapport à l’Union européenne[2]. Enfin, c’est à l’absence de la représentation de la droite souverainiste dans ce pré-carré des candidats à la primaire que s’interroge l’intervenant : un volet de la droite qui semble « paralysée, non par sa critique théorique de l’Union Européenne, mais par les remèdes à lui apporter ». Une droite qui doit faire face aux tenants Front National du « Frexit », qui n’établissent pas les conditions du départ de la France de l’UE.

La conséquence ? « Les primaires à droite ne représentent plus du tout la diversité des droites mais ressemble davantage à un consensus mou ». Avec une fibre sociale totalement absente du discours, engendrant une récupération par le Front National de ces questions, la droite se coupe des voix de la classe moyenne. Un Front National qui « dicte a partition du débat idéologique français » et propose « une synthèse entre la description de la ‘’réalité’’ du pays et les différents mythes fondateurs empruntés tant à la gauche qu’à la droite », souligne l’intervenant. Et à ce parti, devenu « centre de gravité de la vie politique française », on tente de trouver une « réponse centriste » articulée autour de « l’idée de l’union nationale » réunissant les bonnes volontés… Tel Emmanuel Macron, qui tente de faire ré-émerger une idée du libéralisme, d’une construction européenne et de l’action politique. Une voie « d’union nationale idéologiquement indéfinissable », que Feertchak ne voit pas s’inviter réellement au débat en 2017.

Conclusion

« Les primaires ont affadi un parti idéologiquement perdu, attaqué tant sur sa droite que sur sa gauche par un Front National qui le prend en tenaille », conclut Alexis Feertchak. Les candidats à la primaire ouverte à droite se rendent peu à peu compte qu’ils vont être tenus de changer d’état d’esprit, au regard des troubles qui assaillent la France.

Nota bene. Cette note fait la synthèse de La droite est-elle prête pour 2017, Institut Diderot, Alexis Feertchak, octobre 2016.

[1] Baromètre politique CEVIPOF (Sciences PO Paris / CNRS), décembre 2013.

[2] Sondage le Figaro commandé à TNS Soffrès après le Brexit.

aloysia biessy