Lignes de faille. Une société à réunifier : le dernier rapport de France Stratégie, appuyé par l’organisme « Fractures, identités, mixités » – groupe de professionnels de tous bords cherchant à réagir au traumatisme des attentats de janvier 2015- s’emploient à disséquer la société française et à « combattre les fausses vérités ».

 

Un grand pessimisme dans la société française : c’est le premier constat opéré par le rapport conjoint. Les Français porteraient sur eux un « regard excessivement noir », souligne-t-on. De fait : 73% des Français s’attendent à voir émerger des tensions entre communautés dans les dix années à venir.

Pour France stratégie, ce sont là deux facettes de la réalité : une noirceur due au climat actuel du pays face à des chiffres ne justifiant pas un tel pessimisme, un décalage entre la vision que la société porte sur elle-même et la réalité des chiffres. La perte de confiance dans les institutions qui régissent la vie des Français constituerait l’une des premières causes de cette désertion d’espérance. Les rapporteurs préconisent en ce sens une redéfinition des rôles assignés aux institutions ainsi que du contrat social. Des divisions aux lacunes des institutions comment réunifier les structures pour permettre un rétablissement propice ?

 

Six grandes « lignes de failles » seraient aujourd’hui en vigueur au sein de la société française. Des lignes de failles cristallisées en autant d’oppositions :

  • entre riches et pauvres ;
  • entre ascension et déclin social ;
  • entre emploi et chômage ;
  • entre les jeunes générations et les autres ;
  • entre territoires prospères et ceux en déshérences ;
  • entre Français de différentes origines.

 

 

Un sentiment d’inégalité

 

Avec une perception « aigue » des inégalités, les Français aspirent à une organisation des richesses du pays se fait sur un modèle pyramidal. Une évaluation qui semble bien loin des statistiques données par France Stratégie, soulignant l’organisation plus répartie de la richesse. Les Français s’inquiètent de plus en plus de l’idée que les richesses soient détenues par le haut de l’échelle, engendrant une inquiétude quant à l’accroissement de la pauvreté, un sentiment d’injustice et d’insécurité financière. Si les inégalités se sont effectivement accentuées depuis le milieu des années 2000, la proportion reste cependant plus limitée que la perception qu’il en est fait par la population. Ainsi, si la pauvreté est en hausse depuis 2004, celle-ci ne dépasse pas celle de nos voisins.

 

La peur du déclassement social contribue au sentiment des Français, qui « s’identifient de moins en moins à la classe moyenne, et de plus en plus aux classes populaires ». En 1999, 54 % de la population se sentaient appartenir aux classes inférieures, défavorisées, ou pauvres. Et ce chiffre atteint l’inquiétant taux de 74 % en 2015. De même aujourd’hui un Français sur deux juge sa situation sociale moins bonne que celle de ses parents. Et pourtant 33% des Français occupent une position considérée plus élevée que celle de leurs prédécesseurs. Le seul facteur considéré stable en termes d’ascension sociale est le territoire. Car si les inégalités territoriales en France continuent à se creuser notamment dans le secteur de l’éducation, on compterait davantage de diplômés issus de milieux populaires dans les territoires « à forte mobilité sociale », indique le rapport. Le laboratoire d’idées, proche du gouvernement, indiquent à cet égard que les filières sociales d’excellence restent très fermées et contribuent à la reproduction sociale. Pour exemple : 72% des élèves de l’ENA ont un père cadre.

 

L’anxiété dans le monde du travail

 

En ce qui concerne le monde du travail, on ressent une forme d’anxiété. Les Français craignent de perdre leurs emplois : 44% des Français pensent ainsi que l’« apogée de la crise » reste encore à venir. Parmi les classes ouvrières c’est plutôt la peur de l’automatisation du travail qui sévit, engendrant une image négative de la technologie.

Plus de la moitié des personnes nées après 1960 ont connu une période de chômage, alors que ce n’était le cas que d’un quart de la population née après 1950. Dans les deux cas, les personnes les plus touchées sont les moins diplômées. Les formes de contrats privilégiés évoluent également, avec une part de plus en plus grande de contrat à durée limitée ; le CDD représente aujourd’hui un contrat sur dix. On ne choisit donc plus un métier pour la vie, comme cela était le cas dans les générations précédentes. Aussi peut-on parler d’une « dualisation » du marché avec des jeunes employés dans des positions de moins en moins stables.

 

Fracture des âges

 

Une autre fracture mis à jour dans ce rapport est celle entre les jeunes et moins jeunes générations. Les générations qui ne sont plus considérées comme jeunes aujourd’hui sont bien conscientes de la situation précaire et de l’atmosphère dans laquelle vivent les jeunes Français. A l’heure actuelle, les Français s’associent davantage à une génération qu’à un groupe socioéconomique, rejetant la faute sur les autres générations.

Désormais, ce sont près de sept jeunes sur dix qui estiment que la société ne leur offre pas les moyens de faire leurs preuves, provoquant l’incompréhension et la frustration face à un avenir qu’ils voient de plus en plus sombre. Et bien que leur niveau de vie hausse légèrement depuis une dizaine d’années, les jeunes arrivent de plus en plus tard sur le marché du travail et percent donc plus tardivement dans la vie active. En parallèle de ces préoccupations, les jeunes Français se désintéressent de la vie politique, associative ou syndicale. Comme si cet investissement pour l’avenir était plus difficile à produire.

 

Fracture territoriale

 

La confrontation entre territoires « prospères » et « en déshérences » constitue une autre ligne de faille pointée par les rapporteurs de la note. Les métropoles, perçues comme des menaces par les plus petites villes ou villages, suscite la peur parmi la population d’être délaissée. Une inquiétude à laquelle s’ajoutent les appréhensions quant à l’épanouissement, dans ces mêmes métropoles, de quartiers « sensibles ». Quatre Français sur cinq sont préoccupés de la situation de ces quartiers, dans lesquels se développe la délinquance. Des quartiers qui réunissent, non sans tensions, des individus dont les revenus sont bas, des étrangers venus s’installer en France, de jeunes couples ou encore des travailleurs issus des professions intermédiaires. En France la moitié du PIB et 70% des brevets déposés sont inscrits dans quinze métropoles seulement. Dans cette même perspective, la métropolisation de l’emploi prend son essor ; 43% des emplois en France sont contenus dans ces quinze métropoles.

 

Défaillances communautaires

 

La dernière faille retenue dans ce rapport est celle entre Français et les populations allogènes. La majorité des Français redoutent une forme repli communautaire, qui alimenterait le racisme et la montée des extrémismes religieux. France Stratégie note à cet égard que si les Français sont attachés au principe de laïcité, la définition qu’ils en proposent varie d’un individu à l’autre. 51% de la population pense ainsi que la laïcité constitue la liberté pour chacun de pratiquer son culte, tandis que 25% pensent qu’il contraint plutôt à l’interdiction de porter des signes religieux.

Depuis la fin des années 2000 et à plus fort degré depuis une dizaine d’années, le rejet de l’immigration grandit parmi les Français. Ce phénomène se répète dans d’autres pays européens comme la Belgique, l’Italie, l’Allemagne et la Belgique. Sur ces cinq  pays européens, on atteint en moyenne un taux de 70.4%[1] de populations en accord avec la phrase : « Il y a trop d’immigrés[2] dans notre pays ». Malgré ces déclarations l’élan d’accueil des migrants en Europe et en France serait toujours présent, souligne le laboratoire d’idées du gouvernement.

Ces confrontations avec des populations nouvelles sur le territoire ramènent les Français à leur identité, par la religion notamment, à laquelle ils s’identifient mais qu’ils considèrent avec recul, en anticipant les tensions liées à la question religieuse. Ce phénomène se cristallise surtout parmi les jeunes générations. Parallèlement, les populations immigrées soulignent ressentir une forte discrimination. Ainsi l’enquête « Trajectoires et origines » souligne que la population originaire du Maghreb et d’Afrique indique se voir refuser des logements sans raison valable beaucoup plus souvent que la population blanche. Cette tendance décroît considérablement lorsque l’on interroge les enfants d’immigrés.

 

 

Conclusion

 

Les différentes « lignes de failles » mises en perspective par France Stratégie sont tant de fractures dans la société française mettant en avant l’écart entre réalité des chiffres et perception de la société par elle-même. Ces résultats doivent cependant être revisités en vertu des nouvelles données offertes par le contexte actuel.

 

 

 

[1] « Le rejet des immigrés se développe rapidement en France depuis la fin des années 2000 : la part des Français « d’accord » avec la phrase « Il y a trop d’immigrés en France » a progressé de 20 points entre 2009 et 2015, atteignant 69 % avant de revenir à 64 % en janvier 2016 (graphique 23). Parmi les Européens, ils ne sont pas les seuls à exprimer ce très fort rejet : en 2013, 83 % des Belges, 74 % des Espagnols, 71 % des Italiens et 60 % des Allemands étaient d’accord avec la phrase « Il y a trop d’immigrés dans notre pays ». France Stratégie, p.61.

[2] En 2012, 7,5 millions d’étrangers sont décomptés en France. On apprend dans ce rapport que ce qui fait la différence en France est la part d’enfants de personnes étrangères (6 ,8 millions en 1975). De plus la France se place en tête du nombre de mariages mixtes avec 11,5% des unions.

aloysia biessy