« L’importance de la liberté religieuse représente pour moi la différence entre la vie et la mort » soulignait le Père Jacques Mourad, prêtre syro-catholique, enlevé par l’Etat islamique en mai 2015. 196 pays ont fait l’objet d’un état des lieux : dans son rapport 2016, l’Aide à Eglise en Détresse (AED) a démontré que 38 d’entre eux étaient susceptibles de commettre des violations importantes à l’encontre de la liberté religieuse. Dans ce groupe, 23 ont été classés dans la catégorie de haut niveau dénommée « persécution » et les 15 restant dans une catégorie « discrimination ». Sur 38 pays, 14 ont vu leur situation s’aggraver nettement depuis 2014. 21 pays ne montrent aucun signe de changement, caractère qui ne constitue pas pour autant un signe d’amélioration. En réalité, leur situation était si mauvaise qu’elle pouvait difficilement empirer (Afghanistan, Irak, Nigéria, Corée du Nord, Arabie Saoudite, Somalie et Syrie).

Le présent rapport va à l’encontre de l’opinion publique selon laquelle les gouvernements sont principalement responsables de la persécution. Dans 12 des 23 pays les plus incriminés, ce sont des organisations non-gouvernementales qui sont responsables de ces persécutions. Le rapport insiste sur l’émergence d’un nouveau phénomène de violence à caractère religieux qui peut être décrit comme un «  hyper-extrémisme islamique », un processus de radicalisation exacerbée, sans précédent dans ses manifestations violentes. L’impact est mondial, perpétré par des groupes extrémistes affiliés à des réseaux efficaces.

  1. La liberté religieuse dans le monde arabe

 

  • La liberté religieuse en Syrie

Depuis 2011, en Syrie, au moins 400.000 personnes sont décédées sous la gouvernance de Bachar Al Assad – sans compter les victimes indirectes. En juin 2016, le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) a révélé que fin 2015, 4,9 millions de réfugiés étaient originaires de Syrie. Avant le début de la guerre, les différentes Eglises du pays louaient l’atmosphère de tolérance ; les chrétiens membres de l’Eglise orthodoxe, représentaient alors une importante minorité de la population, estimée à 10%. La situation juridique du pays peut sembler encourageante, en dépit d’un article 3 de la Constitution syrienne qui dispose que la religion du Président de la République est l’islam. Celui-ci se voit cependant contrebalancé par l’article 33, qui souligne que « les citoyens sont égaux en droits et en devoirs, sans discrimination fondée sur le sexe, l’origine, la langue, la religion ou la croyance ». Les femmes musulmanes ne peuvent pas épouser des hommes non-musulmans, mais il est possible pour les hommes musulmans de se marier avec des femmes non-musulmanes.

Du point de vue de l’actualité marquante de ces deux dernières années, un certain nombre d’éléments tragiques ont frappés la Syrie et ses habitants. L’énumération qui va suivre n’est pas exhaustive, mais a pour but de rapporter quelques évènements qui scandent de façon macabre le quotidien des syriens. En octobre 2014, des militants reliés à Al-Nosra ont kidnappé le curé catholique Père Hanna Jallouf et environ 20 personnes à Knayeh, un village Chrétien dans le nord-ouest de la Syrie. En novembre 2014, les dernières familles chrétiennes demeurant à Raqqa ont été forcées de payer la jizya, taxe islamique imposée aux non-musulmans. Depuis 2014, la ville est devenue le bastion de l’Etat islamique et ne comporte plus que 23 familles au lieu des 1500 qui vivaient sur place avant le début du conflit. En février 2015, environ 220 chrétiens ont été pris en otage par l’Etat islamique. En juin 2015, des miliciens djihadistes reliés à la milice Al-Nosra ont massacré des dizaines de civils dans le village druze Qalb Loza, dans la région du mont Simmaq. L’intention était de répandre la terreur dans tout le reste de la population civile. En août 2015, trois chrétiens assyriens tués par balle apparaissent à genoux, vêtus de combinaisons orange dans une zone désertique. En janvier 2016, l’Etat islamique a revendiqué la responsabilité des attentats à proximité d’un important sanctuaire chiite en dehors de Damas, attentats qui ont tués au moins 60 personnes dont 25 combattants chiites.

  • La liberté religieuse en Irak

Alors que l’Irak couvre une grande partie de la Mésopotamie, berceau de grandes civilisations, elle a été ravagée après le renversement de Saddam Hussein par l’invasion américaine en 2003. Depuis, le pays a implosé à cause de conflit sectaires. Les milices sunnites et chiites se battaient entre elles et commettaient des atrocités. Plus de 100.000 sunnites et chiites ont été tués par des bombardements. Ces attaques et le climat général de violence ont engendré un exode massif des chrétiens. Selon les estimations les plus récentes, environ 66% des chrétiens d’Irak ont quitté le pays après 2003. Avant cette date, entre 800.000 et 1,2 million de chrétiens vivaient en terre irakienne, aujourd’hui, ils ne sont plus qu’entre 250.000 et 400.000. Les yézidis et les communautés mandéennes ont également été décimés au cours des deux dernières années.

Du point de vue juridique, comme en Syrie, la religion officielle de l’Etat irakien est l’islam, elle est selon l’article 2 de la Constitution une source fondamentale de la législation. Le même article déclare que « la Constitution garantit l’identité islamique de la majorité du peuple irakien ainsi que les droits religieux complets à la liberté de croyance et de pratique religieuse de tous les individus tels que les chrétiens, les yézidis et les sabéens mandéens ». L’article 372 du Code pénal irakien de 1969 ordonne quant à lui que toute personne qui insulte le crédo d’une secte religieuse ou ses pratiques , ou insulte publiquement un symbole ou une personne qui est un objet de sanctification, de culte ou de vénération par une secte religieuse peut être punie d’emprisonnement ne dépassant pas trois ans ou d’une amende ne dépassant pas 300 dinars irakiens (environ 0,23 centimes).

Malgré cette apparente tolérance des minorités, l’actualité iraquienne est toujours mouvementée et rythmée par des évènements d’une extrême violence. En juin 2014, plus de 170 jeunes, pour la plupart des hommes sunnites avaient été enlevés. Le 6 juin, en une seule journée 30 hommes ont été kidnappés à leur domicile, abattus et leur corps jetés à proximité. Les milices chiites en Irak, soutenues et armées par le gouvernement irakien ont enlevé et tué des dizaines de civils sunnites tout en bénéficiant de l’impunité totale pour ces crimes. En août 2014, selon l’ONU 200.000 civils pour la plupart des yézidies, ont fui la ville de Sinjar. Des dizaines sont morts de faim et de déshydratation. Des milliers de femmes et de filles yézidies ont été vendues comme esclaves sexuelles ou tuées. Des militants de l’Etat islamique ont tué au moins 500 membres de la minorité Yézidis au cours de leur offensive dans le nord. Selon Mohammed Shia al-Sudani, ministre des droits de l’homme en Irak, des militants sunnites ont également enterré vivantes certaines de leurs victimes, y compris les femmes et les enfants. En octobre 2015, les réfugiés chrétiens chassés par les milices terroristes de l’Etat islamique, font part de la perte de tout espoir de rentrer chez eux. En un an, 3500 familles chrétiennes ont quitté l’Irak. En février 2016, une légère amélioration de la situation est à noter puisque le premier ministre irakien Al Abadi a déclaré que le gouvernement considère les chrétiens comme une partie intégrante de l’identité nationale et qu’il fera tout son possible pour empêcher leur émigration. Dans cette dynamique, en mai 2016, les leaders chrétiens, musulmans, yézidis et sabéens ont pris part à la prière promue par le Patriarcat chaldéen.

Les perspectives pour la liberté religieuse ne sont pourtant pas dégagées puisque les minorités chrétiennes, yézidis et autres ne sont pas bien protégées dans la zone contrôlées par le gouvernement irakien. Cependant, en général, une amélioration en termes de sécurité est à souligner dans la région nord contrôlée par le gouvernement semi-autonome régionale du Kurdistan (GRK).

  • La liberté religieuse en Arabie Saoudite

L’Arabie Saoudite compte 92,1% de musulmans, 4,4% de Chrétiens, 2% d’Hindous et 1,5 % d’autres religions. Le Royaume est dirigé depuis 2015 par le roi Salman ben Abdelaziz qui est à la fois chef d’Etat et chef du gouvernement. Le pays est le berceau de l’Islam et abrite la Mecque et Médine, les deux lieux les plus sacrés de la religion. Cette particularité explique surement que seuls les musulmans puissent être citoyens saoudiens et que le pays suit une interprétation stricte de islam wahhabiste sunnite et de la charia. La liberté religieuse n’est donc pas reconnue ou protégée en droit. Ainsi, les non musulmans doivent se convertir avant de pouvoir être naturalisé. Il est à noter également que le Comité pour le commandement de la vertu et la répression du vice activement surveille le comportement de la population. En outre, les enfants nés de pères musulmans sont considérés comme musulmans. Les femmes connaissent par ailleurs des restrictions et des punitions très sévères telle que la décapitation en public pour une série de crimes, ainsi que la peine capitale pour les mineurs. En février 2015, un tribunal saoudien a condamné un homme a mort après qu’il se soit filmé en train de déchirer une copie du Coran. La question de la liberté religieuse n’est donc pas à l’ordre du jour.

2. La liberté religieuse en Turquie

La Turquie quant à elle laisse percevoir quelques signes inquiétant de persécution des minorités religieuses depuis l’offensive lancée par le Président Recep Tayyip Erdogan contre le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Bien que la liberté religieuse soit respectée dans le pays, des groupes tels que les alévis, les protestants et les autres confessions se sont plaints de discrimination. Contrairement à l’Irak et la Syrie, la République de Turquie est laïque. Il n’y aucune référence à l’islam dans sa constitution. Bien que les personnes puissent s’abstenir, la religion des citoyens turcs peut être indiquée sur les cartes d’identité.

Jusqu’à présent, peu d’évènement de violence ont été relevés depuis deux ans, indique l’AED. Seules des manifestations de crispations religieuses sont à noter notamment de la part de la communauté arménienne turque qui ne se sent pas traitée avec équité par rapport au reste de la société. Cette tension semble légitime puisque le 7 juin 2016, après que l’Allemagne a reconnu le génocide arménien, le président Erdogan a fermement condamné le vote des députés allemands en affirmant que « nous [le gouvernement] pouvons expulser les Arméniens qui ne possèdent pas la nationalité turque ». Le premier ministre turc, Binali Yildirm, a déclaré quant à lui que « C’est un vote absurde. Ces évènement ont eu lieu au cours de la Première Guerre mondiale en 1915 et ce sont des actes ordinaires de guerre vécus dans tous les pays et toutes les communautés ». Dans le même sens, le patriarcat arménien de Turquie a également critiqué la décision du Parlement allemand en le qualifiant « d’inacceptable » car « l’utilisation de cette tragédie, dans la politique internationale […] provoque la tristesse et la douleur. Et à cause de ce vilain état d’esprit, l’[…]identité des Arméniens de Turquie est blessée ». Le 13 juin 2016, 11 députés allemands d’origine turque ont reçu des menaces de mort après avoir voté en faveur d’une résolution reconnaissant le génocide arménien de 1915.

N.B. Cette note fait la synthèse du rapport à l’Aide à l’Eglise en Détresse, 2016 « la liberté religieuse dans le monde »

aloysia biessy