L’absence de civisme des Français constitue une préoccupation croissante dans la société actuelle. Variant selon les catégories sociales et selon les pays, cet « incivisme » recouvre différents volets : abus de droits, fraudes, dégradations, comportements inappropriés,… : Jean-Michel Arnaud, directeur des publications de l’Abécédaire des Institutions en soulève les principales origines dans le dernier numéro de la parution. De l’individualisme à une mauvaise adaptation à des « mœurs éloignées de leur culture », le rapporteur estime que ces incivilités ont un, coup élevé pour les villes (80 millions d’euros pour Paris en 2014) et ses structures 35 millions d’euros chaque année pour la SNCF). Devant l’inefficacité des campagnes de prévention visant à lutter contre celles-ci, la publication revient sur ce phénomène, qualifiée de « crise du vivre ensemble » par Jean-Michel Arnaud.

I. Absence de civisme : état des lieux

A) Combien coûtent les « incivilités » ?

En 2014, la ville de Paris réglait une facture de 80 millions d’euros pour réparer les dégradations dues aux « incivilités ». Financement de postes d’agents d’entretien et de surveillance ; réparation des Vélib’ ; éclairage public et mobilier urbain (15 millions d’€) ; évacuation des « encombrants » et nettoyage des trottoirs (17.7 millions d’€) : les dégradations urbaines coûtent un prix particulièrement élevé à la ville. De même, l’Union Sociale pour l’Habitat souligne que les actes de vandalisme coûtent particulièrement cher à leur logement (22 millions d’euros payés en 2013 pour payer les dégradations vandales). De leur côté, les entreprises ferroviaires déplorent surtout le coût engendré par la fraude dans les transports (191 millions d’euros pour la RATP et 57 millions pour la SNCF en 2013). La dégradation de ce leur mobilier est également à déplorer : les responsables des tags, s’ils peuvent être punis de 3750 € d’amende par tag, sont pourtant peu ennuyés. Pour 5 000 à 6 000 tags annuels, seules quelques dizaines de condamnations s’observent.

B) La perception des Français sur les « incivilités »

Pour 65% des Français, l’incivisme est en progression : 47% d’entre eux estiment que l’incivilité évolue de manière forte, tandis que 18% souligne qu’il évolue légèrement[1]. De manière plus général, les Français ont le sentiment que leur prochain se préoccupent peu de l’intérêt général (59% estiment qu’ils ne s’en occupent guère, 36% estiment qu’ils s’en préoccupent)[2]. L’absence de confiance dans les personnels politiques à cet égard est également sans appel : 80% des Français soulignent que les hommes politiques ne se préoccupent pas de l’intérêt général ; seuls 16% d’entre eux affirment qu’il s’agit d’une préoccupation des personnels politiques.

Selon le rapporteur de l’Abécédaire, les Français sont plutôt tolérants à ces « incivilités », en comparaison aux différentes Nations du monde. Ainsi, les Français sont moins de 40% à trouver « injustifiable de réclamer indûment des aides publiques ». En Chine, la part de personnes trouvant ce comportement inacceptable atteint plus de 85%.

II. Incivisme : les causes

A) Le « repli sur soi »

L’absence de civisme suppose de ne pas respecter les lois et règles communes d’une communauté nationale, de s’exonérer de ses devoirs envers la société. Le respect à ces différentes données conditionne au contraire l’attachement à la Nation. Carole Gayet-Vigaud, chercheur au CNRS souligne que si les « formes de mépris des règles de vie commune [existent] dans toutes les couches de la population […] la focalisation politique et médiatique d’incivilités des jeunes et des catégories populaires donne une image déformée de la réalité » sur les « incivilités ».

Pour Marcel Gauchet, l’ensauvagement de la société résulte surtout d’une perte de souci pour « l’intérêt général ». Par le passé, « la citoyenneté se définissait par la capacité à s’élever au-dessus des intérêts particuliers », explique l’historien. « Aujourd’hui les individus ont spontanément une préoccupation plus forte à se mettre au premier plan. ». Sans qu’ils en aient totalement perdu la notion, les Français n’ont plus le même attrait pour la défense de « l’intérêt général ». Selon Gauchet, la naissance de l’homme moderne étant irrémédiablement liée à l’individualisme, la société actuelle est de plus en plus encline à un « repli sur soi » ; « aujourd’hui, la chose publique doit composer avec les intérêts personnels », note-t-il encore.

B) Une société multiethnique

Pour certains élus, le manque de civisme est inhérent à l’immigration. Ainsi Georges Mothron, maire d’Argenteuil, de constater que « l’immigration est un véritable enjeu [puisque] certaines personnes arrivent dans nos villes sans aucune notion des règles à suivre dans l’espace public ». A Sevran, où 70 nationalités cohabitent, le Maire de la ville, Stéphane Gatignon, estime au contraire qu’il « nous faut accepter le cosmopolitisme » en dépit du fait que certaines communautés de sa ville ne souhaitent plus vivre avec les populations immigrées. Si l’élu indique établir quelques règles pour que la cohabitation puisse s’opérer – « Lors du ramadan, nous essayons d’imposer une fermeture des bars à minuit ou une heure du matin », l’élu admet qu’il est difficile de faire respecter des règlements dont l’Etat évite de se mêler.

De son côté, le philosophe Pierre Manent, auteur de Situation de la France (Desclées de Brouwer , 2015) indique qu’il faut exercer, dans ce cadre d’une société multiethnique, quelques compromis. « Notre régime doit céder et accepter franchement leurs mœurs », explique-t-il à l’égard des « concitoyens musulmans » en France. Selon lui, ceux-là ne sont donc coupables de n’appliquer les règles de civilité à la française, puisque « nous n’avons pas posé de conditions à leur installation ». De son côté, Hakim el Karoui, géographe et auteur de Un islam français est possible, estime que ce sont les ressortissants nationaux qui ont organisé « la ségrégation en mettant d’un côté les immigrés et de l’autre les « bons français » ». C’est donc en mettant fin à ce schéma que s’exercera la fin de l’incivisme.

Conclusion

Les candidats à la présidentielle proposent différentes mesures visant à lutter contre l’absence de civisme ou les actes de délinquance légers. Les candidats issus de la gauche proposent la « fin des contrôles au faciès » ainsi qu’un « plan national de formation des agents de police et de la gendarmerie pour lutter contre les préjugés et les discriminations » (Benoît Hamon) ; Jean-Luc Mélenchon propose quant à lui l’instauration d’un « service citoyen obligatoire pour tous » de neuf mois, rémunéré au SMIC. Enfin, Emmanuel Macron propose la création d’une grande « loi de moralisation de la vie publique » pour lutter contre ces incivilités.

Les candidats de la droite portent des mesures visant à une restauration des prérogatives des forces de l’ordre. Ainsi, François Fillon propose que les policiers municipaux puissent procéder à des contrôles d’identité et dresser des PV dans des situations différentes que les seules infractions du code de la route. Les contraventions pourront être étendues « à toutes les infractions qui troublent l’ordre public au quotidien ». Marine Le Pen mise quant à elle sur la prévention, proposant la suppression « du versement des aides sociales aux parents de mineurs récidivistes en cas de carence éducative manifeste ».

 

[1] Les Français et le civisme, étude IPSOS, octobre 2010 pour la Revue civique.

[2] Etude de l’Observatoire de l’Intérêt général, réalisé en mars 2016 sur 2000 personnes.

aloysia biessy