La Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires : quel bilan pour l’année 2015

Créé par décret en 2002, la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) a remis aux mains du Premier Ministre son rapport pour l’année 2015. Cette année, marquée par les attentats terroristes islamistes, la Miviludes a dû faire face à une « vagues d’attentats meurtriers perpétrés par de jeunes Français gagnés à l’idéologie salafiste jihadiste », souligne avec justesse le rapport.

A l’origine sollicitée pour analyser « l’emprise mentale et du complotisme », la Mission s’est vue pourvoir une qualité de formateur (agents public, fonctionnaires nationaux et territoriaux, travailleurs sociaux, associations, éducateurs,…) qu’elle s’astreint à tenir dans le cadre de la croissance du « processus de radicalisation » observée sur l’ensemble du territoire. Les grands chantiers vers lesquels elle s’est penchée cette année comportent deux volets : la prévention de la radicalisation d’une part et la lutte contre les dérives sectaires de l’autre.

 

  • Le mode de procédure de la Miviludes

 

Fort de ses quinze agents, la mission se donne trois objectifs (observation et analyses ; formation des agents ; information au public) et dispose de six pôles[1] pour les mettre en œuvre. La Miviludes se targue également de disposer d’une approche pragmatique pour évaluer le caractère sectaire des dérives observées. Selon elle, la « déstabilisation mentale » s’accompagne d’une rupture avec l’environnement familial, d’un discours antisocial, de principes éducatifs conduisant à l’embrigadement des enfants ou d’atteintes à l’intégrité physique. La Miviludes souligne que la plupart de ces cas sont généralement orientés vers l’enrichissement au profit de dirigeants ou de gourou, attentant à l’ordre public et tentant d’infiltrer les pouvoirs publics.

 

  • L’origine des demandes à la Miviludes

 

De 2010 à 2015, les demandes adressées à la Miviludes concernant la vigilance et la lutte contre les dérives sectaires n’ont cessé d’augmenter. Passant de 1825 en 2010 à 2500 au premier semestre 2016, ces demandes sont particulièrement issues des particuliers et à moindres égards des administrations, des associations et enfin des entreprises. En termes géographiques, c’est à Paris que se concentrent les demandes : sur les 65 564 756 demandes adressées sur l’intégralité du territoire français, l’Ile-de-France arrive en tête (613 cas détectés) suivie des Hauts-de-Seine (165 cas), de la Seine-Saint-Denis (156 cas) et le Rhône (153 cas). Les demandes adressées pour l’année 2015 se concentrent surtout dans le domaine de la santé (39%) dans lequel, à l’inverse des autres secteurs, ne connaît pas de décroissance pour l’année 2015.

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Avec près de 2000 de requêtes par an, la Miviludes reçoit l’essentiel de ses demandes par l’intermédiaire d’un formulaire en ligne sur le site (93% des dossiers enregistrés au 1er semestre 2015). Les renseignements conférés sont issus en partie de signalements (20%), de témoignages directs et transmission d’information (20%), d’échanges avec les administrations (15%).

 

  • Les dérives sectaires : typologie

 

La Miviludes souligne ne pas tenir de liste de mouvements sectaires ou de mener une classification vis-à-vis des signalements correspondants qui lui sont adressés. Pour autant, dans un souci de classement des informations qu’elle reçoit, elle identifie les demandes enregistrées (2160 en 2015) suivant les inquiétudes exprimées par les demandeurs (1597 d’entre elles signalent un mouvement, l’activité ou la personne objet de l’interrogation ou du signalement). Pointant surtout du doigt les domaines d’inquiétudes, la Miviludes a relevé pour l’année passée 36 demandes relatives aux locations de salles publiques, 25 demandes relatives aux écoles hors-contrat, 17 portant sur des manœuvres à l’égard des personnes âgées.

 

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Le classement des signalements proposés par la Miviludes, réalisée dans l’objectif de ne pas opérer de classements stigmatisant les confessions particuliers, ne pose pas réellement un schéma clair de la situation. Évaluant les signalements à l’aune de domaines médicaux et paramédicaux, additionné à une évaluation confessionnelle complémentaire, ces statistiques paraissent abscons.

S’inquiétant du prosélytisme, la Miviludes n’hésite pourtant pas à mentionner les courants visés par les signalements (Témoins de Jéhovah, Église de Scientologie). De même, elle souligne les dérives « sectaires » liées au mouvement des pasteurs évangéliques, tout en soulignant ne pas porter de jugement sur les mouvements qu’elle dénomme ; elle s’inquiète ainsi « de pasteurs évangéliques ou de la part d’adeptes qui s’enferment dans un mysticisme exacerbé et consent[ant] des sacrifices (temps et argent) qui paraissent tout à fait excessifs à leurs proches ».  Plus prudents sur l’islam radical, les rapporteurs soulignent toute la difficulté, dans le cadre de la proximité des liens entre radicalisme djihadiste et dérive sectaire, de mettre en évidence les dérives liées à l’islam radical. « [La question] doit être abordée à partir de données scientifiques et de preuves et ne pas être tranchée sous la pression de l’émotion, ou d’intuitions ». Aussi, les dérives sectaires de « communautés déviantes se réclamant du catholicisme » et les « communautés déviantes présentées comme évangéliques et/ou protestantes » bénéficient d’un encadré respectif au sein du rapport, à l’inverse du salafisme ou de l’islam radical, dont il n’est fait question que très brièvement.

Conclusion

Le rapport de la Miviludes vise également à souligner les « dérives sectaires » relatives aux écoles hors contrat (56.400 élèves sont scolarisés dans 1.300 écoles hors contrat parmi lesquelles 300 établissements confessionnels) et les conduites « anti-vaccinale » auxquelles elle porte un regard attentif. Pour pallier aux « dérives » au sein des écoles hors contrat, la Mission souligne que le ministre de l’Éducation Nationale a perpétré depuis l’automne 2015 des inspections ciblées dans une vingtaine d’établissements privés de ce type. Des inspections à conjuguer aux efforts du Ministère par l’intermédiaire de la loi Égalité et Citoyenneté pour réguler les systèmes éducatifs qui échapperaient à sa férule. Des tentatives de contrôle qui sont apparues disproportionnés au Conseil Constitutionnel, qui s’est empressé de signaler à l’Assemblée Nationale qui venait de voter cette loi que « l’atteinte susceptible d’être portée à la liberté de l’enseignement » nécessitait que les articles concernés (notamment l’article 39) soient déclarés inconstitutionnels…

N.b. Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires, rapport au Premier Ministre (2015), septembre 2016.

[1] 3 pôles thématiques (santé / mineurs / économie – travail et formation professionnelle) ; 1 pôle opérationnel (Sécurité) ; 2 pôles d’appui (documentation & communication) que viennent appuyer deux instances collégiales et un réseau de correspondants régionaux.

aloysia biessy