Pour son numéro de février, la Fondation pour l’innovation politique publie un rapport analysant le rapport de force auquel risque d’être confronté le Front national, au second tour des élections. L’analyse est faite aussi bien au niveau régional que départemental. A la veille des élections présidentielles, ce rapport résonne comme un avertissement pour les partisans du Front National.

Celui qui est défini par ses leaders comme « le premier parti de France » se heurte à une incapacité à gagner les élections au second tour, que ce soit au niveau départemental, régional ou national. Plus encore, « tout se passe comme si le plafond de verre montait au fur et à mesure de sa progression » au niveau populaire. Immanquablement, lorsque le FN est vainqueur au premier tour, il est le vaincu du second. Pourtant, le système qui caractérise les scrutins de la Ve République, a quelque peu changé avec la montée du FN qui impose malgré tout une nouvelle répartition de l’espace politique. En effet, mécaniquement, l’impopularité du pouvoir en place déteint sur les élections intermédiaires. La droite profitait des déboires de la gauche et inversement. Désormais, parce qu’il est parfois difficile de dissocier les lignes directrices des politiques menées à droite comme à gauche, une partie de l’électorat, en perte de repères, se radicalise au premier tour pour finalement donner ses voix aussi bien à droite qu’à gauche au second tour. Ainsi, alors que jusqu’à présent « les rapports de force entre la gauche et la droite au soir du premier tour, les tendances du scrutin de ballotage apparaiss[ai]ent déjà très clairement ».

Désormais, le premier tour des élections ne permet plus de définir avec quasi-certitude le vainqueur du second tour. La tripolarisation de la scène politique entre la droite « classique », le FN et la gauche devient une réalité majeure que les politiques ne peuvent ignorer. Ainsi que l’analyse la Fondation pour l’innovation politique, « le premier tour donne la photographie des forces en présence ; le second devient celui de la décision électorale où les cartes sont en partie redistribuées. »

Ainsi, le second tour des élections départementales de mars 2015 a complètement bouleversé le schéma classique puisque « pour la première fois depuis cinquante-trois ans, les duels gauche-droite sont minoritaires ». Le Front national est présent dans 60% des cantons en ballottage, moins que la droite (79%), mais presque autant que la gauche (66%). Ainsi, la gauche et la droite ne se font face que dans 36% des « affrontements ». En outre, alors que la droite et le PS s’opposaient, les électeurs de gauche ont massivement voté à droite au second tour. Alors que François Hollande était au plus bas dans les sondages et inspirait un sentiment de consternation aux Français, les électeurs de droite ont préféré voter en majorité pour un binôme de gauche au second tour lorsque le FN et la gauche était en compétition. En outre, « aux départementales, les états-majors locaux des LR et du PS ont fait des échanges de retrait réciproque pour réduire les chances du FN de s’emparer de présidences de conseils départementaux, comme par exemple dans le Vaucluse ou dans l’Aisne».

Désormais, pour les élections cantonales les conditions d’accès au second tour ont évolué puisqu’avant 2015, il suffisait d’obtenir au moins 10% des inscrits ou de figurer parmi les deux premiers du premier tour. Dorénavant, « la barre de qualification est alignée sur celle des législatives : au moins 12% des inscrits, dans l’espoir sans doute, de la part du législateur socialiste, de limiter le nombre de qualifications du Front national ».

Aux élections régionales de décembre 2015, cette stratégie s’est confirmée. Fait assez révélateur de l’ambiance électorale, une forte mobilisation s’est opérée entre le premier et le second tour pour barrer la route au FN. « Les électeurs de gauche ont voté sans rechigner pour des adversaires politiques comme Xavier Bertrand ou même Christian Estrosi. » En effet, « aux élections régionales, la direction du Parti socialiste a dès le soir du premier tour et sans condition retiré ses listes dans les Hauts-de-France et en Provence-Alpes-Côte d’Azur et faute d’être entendu par la tête de liste socialiste dans le Grand-est, a carrément appelé à voter contre lui et pour la droite. »

Le FN de Marine Le Pen, en rupture avec le FN de Jean-Marie Le Pen, ne veut plus seulement être le parti qui cristallise les épuisés d’un ballottage classique LR-PS. Certes, il compte dans ses rangs de plus en plus de partisans mais aussi de plus en plus d’indignés sur lesquels il est difficile de s’appuyer en cas d’élections. Alors qu’il renouvelle la scène politique habituellement bipartite, le FN est victime de son image supposée réactionnaire et identitaire, largement alimentée par les médias, et d’un programme qui rassure autant qu’il inquiète. Ainsi, malgré lui, le Front national permet à la droite comme à la gauche de remporter les élections. Il distribue ses voix alors qu’en face une ferme opposition est organisée, « tout, sauf le FN ! ».

« Il s’agit d’une décision majeure, qui annonce le choix de voter à droite au second tour de la présidentielle de 2017 si elle oppose le candidat des Républicains à Marine Le Pen, avec le calcul bien sûr, que la droite se trouverait dans la même obligation au cas où le candidat socialiste se qualifierait face à la candidate frontiste. »

« Le système UMPS existe bel et bien, mais il procède d’abord de la volonté des électeurs d’adopter le comportement le plus adéquat pour éviter la victoire de candidats ou de listes du Front national. » Le vote FN redevient alors un vote contestataire où les électeurs sont rassurés par une oscillation gauche-droite bien connue. Finalement les électeurs conservateurs de l’ordre établi étouffent la tripolarisation politique qu’ils semblent appeler malgré tout de leur vœux. Lorsque l’opposition FN-PS se dessine, les candidats du mouvement de Marine Le Pen ne bénéficient pas du  « vote utile » qui n’a de cesse, à l’instar d’une chaise musicale, de replacer au pouvoir les mêmes visages. Les électeurs de gauche comme de droite s’empressent de remplir leurs bulletins de vote des noms de ceux qu’ils souhaitaient déchoir la veille. Finalement, « tout se passe comme si le fameux plafond de verre qui rend si difficile la victoire finale du Front national ne cessait de s’élever au fur et à mesure de sa progression électorale ».

La droite et la gauche existe-elle encore ? Ou doivent-elles pour survivre bénéficier des voies du FN qui se positionnerait alors, comme un parti arbitre dans une démocratie blessée ? Paradoxalement, ce sont les indécis du corps électoral qui ont le vrai pouvoir. « La droite gagne les élections grâce à sa position centrale qui lui permet tantôt de bénéficier des voix du FN pour battre la gauche, tantôt de bénéficier des voix de la gauche pour battre le Front national. »

En 2017, la gauche divisée peut-elle tirer profit du blocage organisé contre le Front national, ou est-elle désormais si impopulaire que la question ne se pose même pas ? La droite fragilisée par un candidat que les médias veulent tuer politiquement, sera-t-elle assoir une position centrale, en mesure de capter les socialistes désabusés et les frontiste vacillants ? L’approche imminente des élections présidentielles, et législatives viendra sans doute troubler à nouveau les analyses de certains et anéantira bon nombre de pronostics.

 

 

 

Nb. Cette note est réalisée sur la base du rapport de la Fondation pour l’innovation politique de février 2017 : «  Le Front national face à l’obstacle du second tour ».

aloysia biessy