Bien que la pornographie constitue un phénomène de masse, elle demeure paradoxalement taboue. La Fondation pour l’innovation politique publie dans son numéro de mars 2017, une étude visant à alarmer sur l’ampleur colossale du phénomène pornographique en s’appuyant sur une analyse scientifique. Elle tente par ailleurs de proposer des pistes de réflexion en vue de le maîtriser.

Sans surprise, le rapport associe le développement de la pornographie à Internet et à son omniprésence dans notre société : « avec Ie Web, le monde du porno a connu une rapide et profonde mutation ». Signe de cette expansion sans précédent, « en 2014, les revenus du Web porno représentaient 5 milliards de dollars via les sites dédiés, pour 500 millions de visiteurs, et 20 milliards via les réseaux sociaux, pour 2 milliards de visiteurs ». En outre, « les sites pornographiques drainent aux alentours de 30% du trafic internet ».

Mais qu’entend-t-on par « pornographie » ? Le présent rapport choisit la définition proposée par le Centre national de ressources textuelles et lexicales (CNRTL). Il s’agit de « la représentation (sous forme d’écrits, de dessins, de peintures, de photos, de spectacles, etc.), de choses obscènes, sans préoccupation artistique et avec l’intention délibérée de provoquer l’excitation sexuelle du public auquel elles sont destinées ». Selon le rapporteur David Reynié, « c’est surtout la pornographie online qui, de par son abondance, sa variété et sa facilité d’accès, a donné lieu au problème majeur qui touche aujourd’hui notre société ». Plus inquiétant encore, les enfants et les adolescents sont extrêmement exposés à ce phénomène : «  93% pour les garçons et 62% pour les filles. L’âge moyen de la première exposition au porno est aux alentours de 11 ans ». Cet accès précoce au porno est directement lié à la possession de téléphones portables des enfants et des adolescents.

Outre la question morale qui est évacuée de l’étude du présent rapport, « une documentation scientifique croissante établit, d’une part, l’amplification et la multiplication des problèmes rencontrés par les individus dans leur vie intime et, d’autre part, le lien entre ces problèmes et la consommation de contenu pornographique en ligne ».

La pornographie comme addiction

Alors que certains font preuve de scepticisme quant à la possibilité d’une addiction au porno, d’autres études scientifiques attestent du contraire. Cette dépendance s’analyse à travers différents phénomènes. Le premier d’entre eux est appelé Coolidge effect qui « illustre le mécanisme fondamental sur lequel reposent les comportements sexuels dans le règne animal : désir et nouveauté sont intimement liés ». Or c’est précisément cette nouveauté sexuelle qui fait de la pornographie sur Internet un objet d’attraction et par la même occasion se transforme en une source d’addiction.

Le désir sexuel n’est pas dissociable de la chimie inhérente au fonctionnement du corps humain. « Le désir sexuel et la motivation pour en rechercher la concrétisation relèvent principalement d’un agent neurochimique appelé dopamine. Cette hormone a pour rôle d’activer dans le cerveau primitif une zone appelée « circuit de récompense », où sont ressentis plaisir et désir. C’est également la zone du cerveau où se développent les addictions. » Plus la décharge de dopamine est importante, plus le désir est intense. Les stimuli sexuels sont les facteurs naturels déclenchant la plus importante décharge de dopamine, source de plaisir. Ils sont à ce titre l’objet de toutes les convoitises pour une sexualité déstructurée et alimentée par la pornographie.

La nouveauté est synonyme d’excitation, la pornographie prospère dès lors sur Internet qui offre aux consommateurs de porno un contenu potentiellement illimité et un accès immédiat aux différents sites. Internet devient dès lors une source d’addiction massive. De plus, le cerveau dit primitif, ne permet pas « de distinguer le vrai du faux face à une situation virtuelle, il perçoit chaque site pornographique comme une véritable aubaine génétique et induit en conséquence une intense production de dopamine ». Le cerveau est dupé par une hyper stimulation que le prix Nobel Kikolaas Tinbergen qualifie de stimulus « supranormal » qui est « une version exagérée d’un stimulus normal, perçu comme extraordinairement précieux ». Le porno agit de la même façon sur le cerveau en stimulant le consommateur de manière exagérée par des scènes toujours plus choquantes, car ce qui accentue les décharges de dopamine sont en général, tout ce qui perturbe notre quotidien et « nos attentes ».

Si l’addiction au porno peut-être scientifiquement expliquée et donc admise, il est moins connu que celle-ci soit différente des autres. En effet, « le porno tel qu’il est utilisé aujourd’hui permet aux utilisateurs de maintenir leur dopamine à des niveaux anormalement haut, et ce sur des périodes anormalement longues. C’est ce qui rend ce produit si attractif, et potentiellement addictif. » La pornographie comme addiction est alors comparable à la cocaïne. En outre, le porno a des effets néfastes peu connus « rendant ainsi notre réponse sexuelle de moins en moins sensible aux stimuli qu’on pourrait qualifier de « naturels » ».

Une sexologie humaine : le porno et ses conséquences

D’un point de vue neurologique, le phénomène est comparable à « une escalade vers l’extrême ». Lors du visionnage de scènes pornographiques, différents circuits neuronaux sont activés et deviennent de plus en plus interconnectés et réactifs les uns aux autres. Cette hypersensibilisation peut déclencher « un désir sexuel automatique, indépendant de tout contexte sexuel ». Pour remédier à ce problème, il est possible de recourir à un processus d’apprentissage appelé « neuroplasticité ». En outre, un individu fréquemment soumis à des niveaux élevés de dopamine va développer « une tolérance qui se traduit par une baisse de récepteurs à la dopamine dans le cerveau. Ainsi et paradoxalement, plus un personne va être réactive à des stimuli liés au porno, moins elle sera sensible à toute autre forme de stimulation y compris l’excitation sexuelle procurée par un partenaire réel ». L’individu, déconnecté de la réalité, est animé par des fantasmes toujours plus excessifs et marginaux.

Le porno a également des effets psychologiques tels que la dépression, l’anxiété et la perte de libido : « en 2016, plus d’un quart des consommateurs de porno recensés s’inquiétaient des répercussions négatives sur leur vie ».

Le porno a aussi des effets relationnels en ce qu’il participe à la détérioration des relations intimes car il « est susceptible de faire perdre tout intérêt pour le partenaire habituel ». Ainsi, « une étude de 1998 ayant soumis les sujets à une consommation régulière de porno rapportait une baisse significative de satisfaction avec leurs conjoints, mais également une baisse de l’attachement sentimental, ainsi qu’une dévaluation de l’apparence et de la performance de leurs partenaires ». D’autres formes de plaisirs que peut procurer la sexualité sont délaissés car d’autres hormones sécrétées telle que l’ocytocine (« hormone de l’amour ») ont des effets moins intenses que la dopamine. Le porno contribue alors à évacuer les sentiments des relations sexuelles et pousse le consommateur à se détacher affectivement de son partenaire engendrant une perte de l’estime du conjoint. Plus sibyllin, « le porno induit un conditionnement sexuel qu’on pourrait presque qualifier de social, lié au fait que ce produit est, pour la plupart des enfants et adolescent, le principal moyen de s’éduquer à la sexualité ».

La pornographie est une addiction. Les addictions comportementales sexuelles se caractérisent à travers différents critères dont : une compulsion à l’usage, une persistance dans le comportement malgré les conséquences négatives et une incapacité à en contrôler l’usage.

Un difficile contrôle de la pornographie

Face au désastre avéré qu’engendre la diffusion massive de la pornographie, il semblerait légitime d’envisager la censure comme réponse appropriée à ce problème. Le rapport ne va pas dans ce sens pour deux raisons. La première, est celle de l’expérience de l’Islande qui en 2013 a voulu censurer les sites à contenu pornographique. Cette mesure avait suscité de fortes réactions « au nom de la liberté et de la responsabilité dont chaque individu doit rester dépositaire ». La seconde, et surement la plus difficile à contourner,  réside dans l’incapacité du dispositif informatique à procéder à une telle censure en l’état actuel des technologies. Dans l’hypothèse d’une tentative de recours à la censure, le rapport préconise de « commencer par censurer le censeur lui-même, c’est-à-dire le législateur ». L’objectif est de lutter par la même occasion contre l’hypocrisie de la classe politique ainsi que cela a été révélé au Royaume-Uni où « en 2012 les services informatiques du Parlement britanniques ont enregistré plus de 300 000 connexions à des contenus pornographiques depuis les ordinateurs de la noble assemblée élue, soit 800 connexions par jours ».

Le rapport préconise donc des mesures palliatives en faisant un parallèle avec l’addiction aux jeux. Il propose d’interdire l’accès à ses sites aux mineurs et propose un système « d’auto-exclusion et d’auto-interdiction », associé à un numéro permettant de contacter une plateforme d’écoute.

Une possible guérison à l’addiction à la pornographie : le « redémarrage »

Le « redémarrage » consiste à se tenir à l’écart de toute forme de simulation sexuelle artificielle jusqu’à ce que la réponse physique, chimique et émotionnelle revienne à un niveau normal. En effet, selon différentes études scientifiques « l’élimination du porno conduit à un affaiblissement progressif des circuits neuronaux préalablement consolidés en faveur du comportement addictif, rendant le sujet graduellement moins sensible aux stimuli addictifs et plus sensible aux stimuli normaux ». Cependant, à l’instar de toutes personnes ayant souffert d’une addiction, le cerveau demeure réceptif aux éléments jadis addictifs. L’individu reste fragile et doit dans la phase transitoire substituer aux images pornographiques des activités plus saines qui ont un effet positif et épanouissant tel que par exemple les activités artistiques et sportives.

Malgré tout une certaine fatalité s’est instauré puisqu’ « en atteste la géographie de la consommation de porno dans le monde : dès lors qu’elles ont accès à Internet, les sociétés deviennent consommatrices, qu’elles soient permissives ou répressives ».

NB : cette note a été réalisée de manière objective en se fondant sur le rapport mensuel de la Fondation pour l’innovation politique de mars 2017

aloysia biessy