En France, certains s’efforcent de réformer le marché du travail à l’aide d’un concept : la « flexi-sécurité ». Cette gestion des emplois pour les entreprises se conçoit en collaboration avec une sécurité renforcée des parcours professionnels pour les travailleurs. Le problème qui se pose toutefois est celui du renforcement de la flexibilité sans que ne soit exigée une augmentation des dispositions concernant la sécurisation des parcours professionnels (SPP).

 

La sécurisation des parcours professionnels

 

Les Français se sentent le plus en insécurité professionnelle parmi les salariés en Europe, malgré le compte personnel de formation (CPF) et le compte personnel d’activité créés par la loi Travail. Il existe donc un déséquilibre entre l’évolution du marché du travail, qui tend à rendre le système plus flexible d’une part, et l’incapacité à mettre en place des mécanismes de sécurité inférieure pour rassurer les Français.

La SPP se définit comme l’ensemble des ressources, publiques ou privées, qu’un actif peut mobiliser pour prévenir les ruptures professionnelles ou en limiter l’impact négatif. Elle est mise en place pour remplir ses trois missions:

 

  1. La sécurisation du pouvoir d’achat en cas de perte d’emploi effective ou imminente. Il s’agit d’une protection fondamentale, qui a été réalisée assez tard en France, sorte de bénéfice de remplacement, payé par l’État (assurance chômage par exemple) ou l’entreprise (rémunération pendant un congé de reclassement).
  2. La fonction « d’intermédiation » entre offre et demande d’emploi au service des chômeurs. Historiquement il s’agit de la première mission du service public de l’emploi. Le code du travail parle d’un « service de placement ».
  3. La troisième et donc dernière mission a pour objectif d’intégrer tous les outils et institutions visant à former, reclasser, reconvertir et, plus généralement, accompagner dans leur évolution professionnelle les actifs, chômeur ou employés. Les prestations apportées par ce troisième cercle sont nombreuses, et consistent notamment en des mesures d’accompagnement et d’entrainement à la recherche d’emploi. La totalité de ces aides sont assurées par un nombre d’acteurs publics et privés considérables.

Cette division en trois missions de la SPP n’est cependant plus d’actualité aujourd’hui.

On retrouve un besoin d’accompagnement plus global, dont l’intensité est très variable selon les personnes et les situations concrètes. Cette évolution est issue de l’irruption du numérique dans ce secteur.

La SPP réunit beaucoup d’actions, d’outils, de dispositifs et de moyens, mais il est difficile d’en appréhender l’ensemble à cause de la diversité des actions et d’acteurs concernés. Pour autant, on retrouve bien trois catégories d’institutions ou de dispositifs rattachés à la SPP, dont la sécurisation du revenu, le financement des acteurs du Service Public de l’Emploi (SPE) et l’accompagnement et la formation. Ces mesures visent à sécuriser économiquement les bénéficiers (ceux au chômage ou pas) et veulent servir « d’intermédiateur » entre offre et demande d’emploi, affectant surtout les salariés subissant une rupture de travail pour motif économique. Le montant, pour la sécurisation des revenus, dépassant le chiffre de 30 milliards, est imposant, notamment en regard des moyens alloués – 10 milliards de plus.

 

 

Les autres statistiques des dispositifs et institutions intervenant dans la SPP

 

Le poids le plus lourd est porté par l’indemnisation chômage avec 32,5 milliards d’euros. 7,2 milliards d’euros sont réservés pour les indemnités de rupture d’un CDI.

 

Ce qui pose problème est la multiplicité des dispositifs et la complexité du système, qui soulèvent la question de l’efficacité globale de ces dispositifs. Les acteurs et financiers sont aujourd’hui tellement nombreux, que les actifs et les spécialistes ont du mal à appréhender ce domaine. Un manque de lisibilité est donc à constater. Il existe également une inégalité de traitement en matière d’accompagnement, ce qui renforce le sentiment d’insécurité. Il faudrait mettre en place un système plus simple, équilibré et surtout personnalisé selon le parcours et les compétences de l’actif et cesser de laisser dépendre les droit rattachés à la SPP du statut de la personne ou des caractéristiques de l’entreprise qui l’emploi.

 

Depuis les années 2000 de nombreuses avancées ont permis d’attacher les droits aux personnes plutôt qu’aux emplois. Les droits accordés aux individus sont entre autres le droit de survivre ; à son initiative, le droit à une formation lui permettant, quel que soit son statut, de progresser d’au moins un niveau de qualification. On trouve également le droit à l’orientation professionnelle tout au long de sa vie, qui se traduit par un droit à l’information sur la formation, mais aussi un droit à l’accès gratuit à un conseil en évolution personnelle. En dernier, un droit pour les jeunes de 25 ans de bénéficier d’une durée complémentaire de formation qualifiante quand il est sorti du système éducatif sans diplôme.

Ces droits sont, indique le rapporteur de la note, assurés par la loi du Travail du 8 août 2016, qui a également prévu la création d’un compte personnel d’activité (CPA) et dont l’objectif est de créer un droit universel à l’accompagnement. Ce compte regroupe en une seule plateforme le compte pénibilité (C3P), le compte engagement citoyen(CEC) et le compte personnel de formation(CPF). Le groupe ciblé est constitué des salariés du secteur privé ainsi que des indépendants.

 

SPP : quelles solutions ?

 

La mise en place d’une véritable SPP suppose de repenser en profondeur les droits des actifs et leur financement. Pour arriver à créer un système qui serait à la fois plus juste, plus efficace et plus efficient, il s’agit de mettre en place un outil regroupant l’ensemble des droits au service de la SPP, en équipant individuellement tous les actifs. Ce nouveau modèle porte l’intitulé de « capital emploi formation » (CEF), qui a doit atteindre trois objectifs: couvrir tous les actif, en donnant la priorité à ceux qui subissent les ruptures professionnelles les plus fréquentes; permettre aux bénéficiers de gérer leur SPP de manière autonome et enfin d’améliorer la qualité de l’accompagnement et du placement. Le CEF se substituerait à la plupart des dispositifs privés ou public actuellement dédiés à la sécurisation des trajectoires professionnelles en les remplaçant par des droits rattachés à la personne, évoluant indépendamment des changements d’emploi et de statut. Parallèlement, beaucoup de changements contraires à l’actuel CPA sont mis en œuvre : le suivi des droits accumulés serait centralisé à la Caisse des dépôts et consignations et accessible en ligne à tout moment par leur titulaire; le capital serait doté en euros; le CEF ne serait pas plafonné; il donnerait droit non seulement à des prestations de formation, mais également à l’ensemble des prestations liées à l’accompagnement vers l’emploi et à la création d’entreprise serait mieux financé. Cette énumération n’est pas exhaustive, d’autres différences subsistent mais il peut être admis que le CEF prendrait acte du regroupement qui existe désormais entre formation, accompagnement et conseil.

 

Les sources de financement du CEF

 

Deux sources de financement permettraient au CEF d’atteindre ses objectifs. D’un part un abonnement tout au long de la vie, d’autre part un abonnement individuel lié aux ruptures professionnelles et à des versements ponctuels serait prévu. Ces dispositifs de financement ont pour vocation d’équiper les individus plutôt que le système afin que les ressources soient utilisées de la façon la plus efficiente, en liberté et en autonomie par les individus. Il s’agirait d’un financement visant à assurer l’équité, car la partie mutualisée (celle qui résulte de la cotisation de 0,4%) produirait un « droit au tirage » forfaitaire libellé en euros et non en heures de formation. En outre, l’actif verrait ses droits s’accroitre au cours du temps, ce qui avantagerait le salarié ayant une grande ancienneté dans l’entreprise, mais dont les besoins de reconversion, via les difficultés de reclassement sur le marché du travail, s’accentuent avec la vieillesse. Cela affecterait également les salariés, enchainant des contrats courts, qui bénéficieraient de droits particuliers puisqu’une partie des primes de précarité abonderait automatiquement au capital, en plus des droits issus de la cotisation de 0,4%[1].

 

Mais ce montant n’intègre pas les contributions supplémentaires versées par les employeurs en vertu d’accords collectif. Ce chiffrage n’intègre pas non plus les versements des salariés sous forme de jours RTT et de comptes épargne temps, ni le recyclage issu de la part mutualisée des CEF non consommés au moment des départs en retraite, qui est impossible à estimer. Il est donc proposé de retenir la borne supérieure de la fourchette, soit 6,6 Mds euros.

 

À ces ressources il est nécessaire d’ajouter les contributions externes destinées à aider les actifs qui ne disposeraient pas d’un capital suffisant pour acheter des prestations de SPP. Ces attributions seraient financées par les régions, Pôle emploi et le FPSPP aux actions de formation en faveur des demandeurs d’emploi et des titulaires du CSP. Par souci de cohérence et de simplicité, l’ensemble de ces financements serait transféré aux régions, qui deviendraient les seuls finances publiques de la formation et de l’accompagnement des actifs en situation de transitions professionnelles. Au total, on doit donc additionner les complémentaires des régions (2,32 milliards d’euros) au 6,6 milliards de CEF, ce qui aboutirait à une ressource annuelle d’environ 9 Mds mobilisable chaque année. Il faut également compter le complément issu des actifs eux-mêmes (environ 1,4 milliards d’euros). En somme, on peut évaluer à environ 11 milliards d’euros les montants qui pourraient être mobilisés chaque année par le CEF et ses compléments pour financer des prestations concourant à la SPP des 20 millions d’actifs concernés. En ce qui concerne le Pole d’Emploi, qui est aujourd’hui principalement financé par une subvention de l’État (1,5 Mds) et par un prélèvement de 10% des contributions versées par les entreprises à l’UNEDIC (3,4 Mds), il subira un changement également dans le nouveau système. Pour donner quelques exemples, il se recentrerait entre autres sur les missions comme son rôle de service public pour le compte de l’Etat ou son rôle de solidarité dans l’accompagnement et le placement de personnes n’ayant pas de CEF ou un CEF insuffisant.

 

En conclusion, la réforme proposée est d’une ampleur considérable, au sens où elle a pour objectif de rationaliser les multiples dispositifs et institutions dédiés à la sécurisation des parcours professionnels, en visant un remodelage global autour d’un instrument central, le « capital emploi formation ».

 

Nb. Ce rapport rend compte des conclusions de l’étude Un capital emploi formation pour tous, de l’Institut Montaigne, Janvier 2017.

 

[1] Pour donner quelques chiffres indiquant les ressources qui seraient fléchées vers le CEF: Les cotisations de 0,4% sur les salaires sont dotées de 2,14 Milliards d’euros de contribution au CEF; La contribution de 0,4% des travailleurs indépendants (0,35 Mds),à l’occasion de licenciements et de ruptures conventionnelles (1,7 – 2,6 Mds) et pour fin de CDD(1,46 Mds) remonte environ à 4,11 Mds. Le chiffre total CEF s’oriente donc entre 5,7 et 6,6 Mds.

aloysia biessy