Budget de la Défense : des comptes d’apothicaire ?
Le Projet de loi de finances pour 2015 accorde au ministère de la Défense 42 milliards d’euros de crédits de paiement, avec pensions. Hors pension, ce montant s’abaisse à 34,23Md€. Il est réparti en 3 missions : la mission Défense, avec un budget de 31,4Md€ hors pensions ; la mission Anciens combattants, mémoire et lien avec la Nation à 2,64Md€ ; enfin la mission Recherche et enseignement supérieur à 190M€.
L’Otan a affirmé la nécessité pour les pays membres de consacrer au moins 2% de leur PIB à la défense. Elle met donc en garde la France qui n’investirait que 1,88%. Pour en arriver à ce chiffre, elle ne compte que les crédits alloués à la mission Défense ; alors le PLF se base sur l’ensemble du budget, qui représente alors tout juste 2% du PIB.
Réforme de l’armée depuis 2008
L’armée française subit de sacrés coups de rabot. Le chef d’état-major des armées, le général Pierre de Villiers, a d’ailleurs mis en garde l’Assemblée nationale, le 7 octobre, en prévenant que la France commençait à s’attaquer au « muscle » de l’Armée. Présente sur 27 théâtres d’opération qui mobilisent environ 8000 militaires, l’armée française risque de ne plus avoir les moyens de ses ambitions. Elle subit en effet environ 60% des réductions de poste de la Fonction publique, ratio qui passera à environ 66 en 2015. « Entre 2009 et 2019, nos effectifs auront diminué d’un quart » souligne le général. Il accepte de s’en tenir au Livre blanc de 2013 et la Loi de programmation militaire (LPM) 2014-2019 qui prévoyait ces suppressions de postes, mais tient à recevoir la totalité du budget promis, en temps et en heure.
Dans le cadre de la révision générale des politiques publiques (RGPP), lancée en 2007 par l’ancien président de la République, l’armée a été le seul bon élève. Jusqu’à 2013, elle a donc opéré à la suppression de 54 000 postes, la dissolution de dizaines de régiments et la restructuration profonde de l’organisation administrative. L’armée de Terre comptabilise d’ailleurs 22 000 de ces suppressions de postes, la dissolution de 21 régiments et de 7 états-majors opérationnels. Mais le Gouvernement continue à demander des efforts à l’armée, qui n’en a plus les moyens.
Alors que le reste du monde augmente ses efforts de défense, l’Europe et la France en particulier les diminuent. En effet, le budget pour la Défense en pourcentage du PIB diminue depuis les années 90. Cette baisse d’investissement, dans les domaines de l’équipement et de l’armement notamment, est un manque à gagner pour de nombreuses entreprises françaises et leurs sous-traitants.
Parallèlement, les crises se multiplient et se superposent. Mais, chaque année, la loi de finance sous-évalue le coût des opérations extérieures (OPEX). Pour 2014, seulement 450 millions d’euros de surcoût ont étés prévus, contre 630 millions d’euros en 2013, alors que le surcoût est estimé à 1,128Md€. Le principe du financement des OPEX par un fonds interministériel de solidarité risque d’être difficile à maintenir, car dans les autres ministères aussi, chaque euro est compté.
Enfin, l’une des ressources permettant l’exécution de la LPM sont des ressources exceptionnelles et donc incertaines. Ces recettes sont en général issues de la vente des biens de l’armée. Il est prévu qu’elles s’élèvent à près de 6Md€ sur l’ensemble de la LPM 2014-2019. Rien que pour 2015, le gouvernement espère 2,3Md€ de recettes exceptionnelles. Si jamais cet objectif n’est pas atteint, le budget de la mission Défense tomberait à 29 milliards d’euros.
Etat de l’armée
L’équipement de l’armée doit être remplacé, tant bien le matériel que les infrastructures.
Concernant le matériel, de nombreux avions, véhicules blindés et hélicoptères ont entre 40 et 50 ans. Ils ont d’ailleurs été particulièrement usés ces derniers temps par la multiplication des OPEX. Ainsi, l’opération SERVAL a montré, en dépit de son succès reconnu à travers le monde, des lacunes capacitaires. En plus de mettre la vie des militaires en danger, l’abandon de l’investissement dans du matériel de qualité compromet l’efficacité des missions et risque de mettre la France dans une position de dépendance vis-à-vis d’autres pays plus en pointe dans ce domaine, comme le montre notre retard par rapport aux Etats-Unis sur le développement des drones militaires.
La rénovation des infrastructures est également un grand chantier auquel doit d’atteler la Défense. Un plan d’urgence a d’ailleurs dû être mis en place, avec un plan pluriannuel de 67M€ en 2014. Le général de Villiers indique qu’il faudrait 200M€ supplémentaires par an pour régler les 670 points identifiés. Pour l’instant, seuls 310 pourront l’être, alors que certains d’entre eux concernent des besoins les plus basiques dans les bases de défense, comme la réparation de douches. Rappelons que de nombreux militaires vivent au quotidien dans ces bases. C’est à partir de là que le général de Villiers, en arrive à un autre risque pour l’armée : le moral des troupes. Cette idée est également partagée par le général Jean-Pierre Bosser, chef d’état-major de l’armée de Terre (CEMAT).
Le CEMAT parle en effet de « lente érosion, qui se confirme d’année en année » et « tient d’abord au manque de visibilité sur l’avenir, imputable à l’empilement des réformes comme à la dégradation des conditions de vie et d’exercice du métier ». Il donne alors l’exemple des dysfonctionnements du logiciel LOUVOIS, pour le paiement des soldes, « qui ont touché 59 000 militaires de l’armée de Terre ». Cette baisse de morale risque de mener vers une perte de confiance et un découragement qui ne seraient pas souhaitables.
L’armée française est déployée sur de plus en plus de théâtres d’opération et est l’armée la plus active d’Europe. Dans ses divers Livres blancs, la France cherche à réformer l’armée dans un souci d’efficacité et d’économies. Mais le Gouvernement est mis en garde, il doit se tenir à ce qui a été conclu dans les lois de programmation, qui vont déjà trop loin. L’armée aura donné son maximum en 2019 et doit recevoir tout ce qui lui a été promis. La qualité des opérations, la stabilité de notre défense, la vie et le moral de nos armées sont en jeu.