Interview d’Aude Mirkovic, porte-parole de l’association « Juristes pour l’enfance »
– Pourquoi la France doit-elle faire appel de la décision de la CEDH ?
La France doit faire appel, car la décision irresponsable de la CEDH l’oblige à « fermer les yeux » en cas de recours à la GPA à l’étranger : vous pouvez commander un enfant à une gestatrice, lui acheter l’abandon de son enfant et, de retour en France, tout ira très bien ! La GPA ne devient pas acceptable sous prétexte qu’elle est réalisée à l’étranger ; la dignité des femmes indiennes ou ukrainiennes n’est pas moindre que celle des françaises, et un achat d’enfant reste un achat d’enfant lorsqu’il est réglé en dollars ou en roubles.
La France s’est engagée à respecter les droits proclamés par la Convention européenne des droits de l’homme, et nulle part ce texte ne fait ne serait-ce qu’allusion à la GPA. La Cour européenne se vante elle-même d’interpréter la Convention de façon dynamique, de façon à appréhender des situations inédites en 1950, au moment de la signature du texte. Autrement dit, elle écrit le texte au fur et à mesure, et s’est érigée en grand censeur européen autoproclamé qui se permet de condamner les Etats sur des points sur lesquels ils n’ont pris aucun engagement et, bien plus, qui font l’objet de graves débats internes. Curieux droits de l’homme que ceux qui servent de prétexte à valider un achat d’enfant ! La France doit faire appel, pour signifier à la Cour qu’elle doit rester à sa place et ne pas décider à la place des Etats. Lorsque l’Angleterre a été condamnée pour refus de donner le droit de vote aux détenus, le gouvernement britannique a fait appel en menaçant plus ou moins de remettre en cause la Cour, et immédiatement la Grande Chambre a réformé la condamnation. Même chose lorsque le gouvernement italien a « montré les dents » après la condamnation en raison de la présence de crucifix dans les écoles publiques italiennes. La Cour a immédiatement reculé et estimé que, en fait, cette question relevait de la marge d’appréciation des Etats. Le gouvernement français peut faire appel, mais il ne le veut pas, trop content que la GPA s’impose ainsi petit à petit.
– Quelle frontière y-a-t-il entre la retranscription des enfants issus de la GPA sur le registre de l’état civil et l’autorisation de la GPA en France ? L’un entraîne-t-il nécessairement l’autre ?
En soi, la transcription des actes de naissance étrangers sur les registres français d’état civil n’oblige pas à légaliser la GPA en France. Elle signifie seulement que le recours à la GPA à l’étranger est sans conséquence en France, sans sanction. Mais il est incohérent de condamner cette pratique qui organise le marché des enfants, et de faire comme si de rien n’était lorsqu’on y recourt à l’étranger. Et nul besoin d’une boule de cristal pour prévoir que la sélection par l’argent qui en résulte, entre ceux qui ont les moyens de se payer des gestatrices et leurs enfants à l’étranger et ceux qui ne les ont pas, ne serve de prétexte pour pousser à l’organisation de la GPA en France.
– Quel est le danger de la GPA pour notre société ?
Il y aurait tant de choses à dire. En premier lieu, la GPA organise, planifie, la conception d’un enfant dont il est prévu ab initio qu’il sera séparé de la femme qui l’a porté. On impose donc à cet enfant, délibérément, une blessure d’abandon. Le fait que certains enfants vivent cela, du fait des malheurs de la vie, ne justifie en rien de l’organiser. En outre, un enfant adopté sait que ses parents adoptifs ne sont pas responsables de ce qu’il a vécu et que, au contraire, ils sont intervenus pour « réparer » ce qui lui été arrivé, à savoir manquer de son père d’origine, de sa mère d’origine ou des deux. En revanche, lorsque les enfants vont réaliser que cette blessure leur a été infligée, non du fait des aléas de la vie mais par la décision délibérée de ceux-là même qui prétendent les aimer, cela va sans doute faire beaucoup de dégâts.
En plus de cela, cette pratique prive l’enfant d’une branche de sa filiation biologique, car la femme qui le reçoit n’est pas sa mère biologique. Là encore, c’est une situation que les malheurs de la vie peut susciter, mais il est injuste de l’infliger délibérément à l’enfant, pour satisfaire le désir d’enfant d’autrui.
Enfin, lorsque la GPA intervient au profit d’un couple d’hommes ou d’un homme seul, l’enfant est non seulement privé de sa mère, mais de mère tout court. L’enfant est privé de lignée maternelle, il est privé de maman, parce que son géniteur n’a pas voulu s’encombrer d’une mère pour son enfant. Il pourra ensuite le couvrir de câlins, cela ne remplacera jamais la mère dont il l’a privé.
De multiples manières, la GPA réalise une grave maltraitance à l’égard de l’enfant, au mépris de ses droits élémentaires et, notamment, son droit de connaître ses parents et d’être élevé par eux, protégé par la Convention de New York sur les droits de l’enfant, que la France a ratifiée.
Et il y aurait encore beaucoup de choses à dire, notamment en ce qui concerne l’exploitation des femmes pauvres, et l’utilisation des femmes, pauvres ou non, comme machines à fabriquer des enfants. Acheter à une femme l’abandon de l’enfant qu’elle a porté, c’est toujours une pratique indigne. Tout le monde s’apitoie en apprenant qu’un couple australien n’aurait pas voulu prendre un des enfants commandés à une mère porteuse thaïlandaise parce que l’enfant était trisomique. Mais imaginons que tout se soit « bien » passé, et que les Australiens aient pris les deux enfants : la femme thaïlandaise a vendu ses enfants, et eux les lui ont achetés. La GPA ne se passe jamais bien pour les enfants, car une vente d’enfant n’est jamais un bien.
– Serait-il envisageable d’ouvrir une autorisation de la GPA « sous conditions strictes » pour les cas d’infertilité concernés ?
Non, c’est la GPA en elle-même qui porte atteinte à la dignité humaine. Peut-on encadrer l’esclavage, pour assurer qu’il soit éthique ? Non, et bien c’est la même chose pour la GPA.
– En quoi consistent vos actions et comment vous aider à diffuser votre message ?
Nous mettons notre expertise de juristes au service de la défense des droits de l’enfant. Nos actions consistent principalement dans des actions en justice, que nous initions ou dans lesquelles nous intervenons, pour faire entendre devant les juges la cause des enfants. Ainsi, nous portons plainte contre les sociétés étrangères qui font du démarchage en France en vue de la GPA. Nous sommes intervenus dans une affaire où la mère porteuse (en France) a prétendu à un couple d’hommes qui avait commandé l’enfant que ce dernier était mort, pour le revendre à d’autres personnes. L’enfant a bien besoin de nous, car la mère porteuse est poursuivie pour escroquerie, comme si l’enfant était vraiment une marchandise ! Nous avons 12 affaires en cours actuellement. Nous avons encore beaucoup d’actions en perspective, mais nos avocats bénévoles peuvent difficilement prendre plus de dossiers. Il nous faut des moyens pour passer maintenant à la vitesse supérieure. Nous cherchons donc de l’argent pour engager d’autres causes. Et voici un moyen de nous aider ! (Juristes pour l’enfance, 129 rue de l’abbé Groult, 75015 Paris, reçu fiscal sur demande)
Aude Mirkovic
Maître de conférences en droit privé
Auteur de PMA-GPA – Après le mariage pour tous, l’enfant pour tous ?, ed. Téqui 2014
Et Mariage des personnes de même sexe – La controverse juridique, ed. Téqui 2013