Interview de maître Dominique Pessina
Maître Dominique Pessina est notaire dans le 7ème arrondissement de Paris. Il dirige l’étude PESSINA qui est l’une des plus anciennes de France, fondée par édit royal en 1595. Elle est installée dans le quartier du Faubourg Saint Germain, siège de nombreux ministères. Soucieuse de satisfaire sa clientèle et d’améliorer ses prestations, l’Etude PESSINA a développé un système de management de la qualité qui a été certifié ISO 9001 depuis décembre 2005 par l’AFAQ.
– Le rapport de l’IGF veut mettre à plat votre profession, contre la volonté de nombreux notaires. Qu’est-ce qui justifie la spécificité de traitement du notariat ?
Le statut de notaire a été confirmé par deux grands législateurs : Napoléon et Charles De Gaulle. Ils ont choisi de conserver cette profession qui provient de l’Ancien régime pendant des périodes troubles, avec la Révolution française pour le premier et le sortir de la guerre pour le second, car ils ont reconnu le rôle de pacificateur des notaires. Ils sont des piliers stables. En effet, leur monopole se justifie par une raison d’être sociale profonde, d’une part, et la paix juridique (le notaire prévient les litiges et les contentieux) d’autre part. L’Etat considère que l’ordre, plutôt que l’anarchie, présente un intérêt pour les citoyens, pour les opérations importantes de leur vie patrimoniale et matrimoniale.
Le monopole de la médecine est une bonne chose. Il n’existe pas pour rien. Idem pour le notaire. L’Etat y trouve d’ailleurs son gain : 1 contrat sur 1000 seulement donne lieu à un litige. Le contentieux immobilier en France est bien inférieur à celui des Etats-Unis. Le notariat n’est pas une profession libérale comme les autres. L’avocat a un rôle social, celui de nous défendre. Pour cela il est notre mandataire. Le notaire ne peut pas être mandataire, il est arbitre et conseil. Il vérifie la légalité, puis donne force de loi. Il conserve ses archives plus de 75 ans.
Ce n’est pas anodin que les notaires soient des officiers publics. Le notariat détient une spécificité : il s’agit de la seule profession en France où les professionnels sont tous solidairement responsables. Des organismes professionnels paieront si un particulier a un problème avec un notaire. Ceci se fait d’ailleurs par le biais d’assurances extrêmement onéreuses.
Mais en contrepartie : le notariat est une profession réglementée, des règles lui sont imposées et des contrôles annuels de l’Etat sont réalisés (comptabilité, qualité professionnelle, respect des règles imposées…).
Donnons un exemple de cette combinaison règle/protection : avec la législation Tracfin, le notaire a l’obligation de surveiller les transferts de fonds. Lors de l’affaire des subprimes, les Etats-Unis ont connu des crises bien plus graves que chez nous. Ils estiment d’ailleurs qu’avec le même système de notariat que le nôtre, ils n’auraient pas connu si lourdement cette crise.
Concernant enfin le droit de présentation, la justification est simple. Sous l’Ancien régime nous connaissions la vénalité des offices. Depuis, il y a eu la Révolution française et nous avons connu une réorganisation au début du XIXe siècle. Mais les notaires ont conservé un droit de présentation, grâce auquel l’Etat a la garantie que je vais bien faire mon travail. J’ai payé quelque chose, mais j’ai des obligations derrières. L’Etat peut me démettre et je perds alors mon patrimoine et je perds mon droit de présentation, par la radiation. C’est une garantie forte pour l’Etat.
L’organisation de la profession est un tout, ce n’est pas le fruit du hasard.
– Pourquoi le maillage territorial serait-il mis en danger ?
Regardons les avocats : la moitié d’entre eux sont à Paris. C’est ce qui arrivera aux notaires si nous réformons ainsi notre profession. Sans le maillage imposé par la réglementation, les études de province disparaîtront.
De plus, il existe une grande disparité géographique et ce n’est pas un marché extensible.
– Vincent Le Coq, maître de conférences, porte-parole du collectif Non/Taire notamment, a écrit dans un article pour Contrepoings qu’ « Un notaire sur deux gagne de nos jours en un mois davantage que ce que gagne un Français sur deux, par an. Le tout au frais des contribuables ». Considérez-vous que la profession de notaire soit privilégiée ?
La rémunération des notaires dépend des années, celle de 2009 par exemple a été plutôt mauvaise. Le tarif est régulièrement modifié. Contrairement à ce qu’a dit Macron, qui ne doit pas connaître très bien son dossier, la dernière réforme ne date pas de 1978 mais de 2013 avec Moscovici, et il y en a eu en 2012, en 2011, etc.
Le salaire que nous percevons ne se fait pas aux frais du contribuable, car nous ne sommes pas fonctionnaires. Les actes que nous signons ne concernent qu’une petite partie des citoyens : concernant le mariage par exemple, la moitié des couples aujourd’hui ne se marient pas. Et sur ces 50%, seuls 10% font un contrat de mariage. Concernant les actes immobiliers, la moitié des Français ne sont pas prioritaires. Nos actes concernent avant tout une certaine population un peu aisée. De plus, le tarif que nous appliquons est redistributif. Une grande partie des actes sont réalisés à perte, mais les actes rapportant le plus compensent. La protection est assurée.
En réalité la vision de Macron est très anglo-saxonne. Il appartient à la catégorie des « grands bourgeois », pour qui la mise en concurrence dans le monde des affaires lui permet d’accéder à une qualité professionnelle au meilleur prix. Mais parce qu’il a les moyens de se payer cette qualité professionnelle et qu’il sait reconnaître cette qualité.
Dans notre profession, la qualité professionnelle est beaucoup plus homogène. De nombreux clients viendront nous voir sans connaître la valeur de notre prestation. Les tarifs sont rassurants pour les notaires, mais avant tout protecteurs pour le particulier.
La concurrence mènerait à la suppression de cette transparence. Certes, nous pouvons améliorer et simplifier certaines choses. Mais ici les choses sont faites sans connaitre la réalité de la profession, avec des a priori et sans concertation.
– Quel type de réforme préconiseriez-vous ?
Des réformes sont proposées par la chambre des notaires.
Il y par exemple la question de l’interprofessionalité entre avocats, notaires, greffiers… Ceci est une piste. J’ai d’ailleurs eu l’occasion de présenter cela lors d’un colloque à l’Assemblée nationale il y a 5 ans, mais la question du notariat semblait n’intéresser qu’une petite poignée de députés.
Il y a également la possibilité de changer le statut des collaborateurs. Autrefois, il y a environ cinquante ans, seul le notaire pouvait recevoir les actes. Il habilitait alors des collaborateurs, appelés les clercs habilités, qui pouvaient eux-mêmes le faire. Il serait tout à fait cohérent aujourd’hui de supprimer ce statut de clerc habilité, en le remplaçant par un double statut de notaire : des notaires salariés et des notaires entrepreneurs. La charge des entrepreneurs est très grande et peut faire peur.
Nous pouvons aussi envisager une simplification du versement des tarifs. En effet, dans l’état actuel des choses, les clients font peu la distinction entre la perception de l’impôt que nous effectuons et ce qui revient au notaire.
De nombreuses voies peuvent être empruntées, mais la réforme que le Gouvernement entreprend serait néfaste pour la profession et pour les Français. Nous pouvons d’ailleurs bien voir que d’un côté nous avons des services publics comme l’Education nationale qui ne marche pas et de l’autre le privé, qui lui, fonctionne bien. Ce n’est pas en paupérisant certains que nous allons enrichir les autres. C’est un mensonge de dire que nous rendrons ainsi du pouvoir d’achat aux Français.
Finalement, l’idée centrale de Bercy est de faire baisser les prix en faisant jouer la concurrence. Il s’agit d’un acte risqué, car nous connaissons aujourd’hui des équilibres économiques, mais nous ne savons pas ce que donnera ce changement. Nous savons d’où nous partons mais nous ne savons pas où l’on va. D’ailleurs, avec des tarifs identiques, tous les notaires ne gagnent pas la même chose. Pourquoi le Gouvernement ne se bat pas plutôt pour baisser les prix de produits ou services de la consommation quotidienne, qui concernent beaucoup plus de Français, comme les tarifs des billets de train ou du ticket de métro.
La France est un pays de droit codifié, pas de Common law. Notre modèle s’exporte ailleurs et ai donc un facteur d’influence culturelle. Cette réforme est un reflet de la culture qui domine Bruxelles : la culture anglo-saxonne. Nous sommes ouverts à des améliorations, mais voulons-nous réellement abandonner notre schéma de culture de droit latin au profit d’un schéma de culture anglo-saxonne ? L’Etat devrait se poser la question de l’amélioration de la qualité plutôt que de la réduction des coûts : améliorer la formation universitaire, améliorer le droit… Comme le disait Montesquieu : « Les lois ne doivent pas toujours changer ».