La droite impossible. Yves-Marie Adeline
Yves-Marie Adeline, docteur de l’Université Panthéon-Sorbonne, est l’auteur d’une vingtaine d’ouvrages notamment d’une monumentale Histoire mondiale des idées politiques. Il assure un cours de sciences politiques dans plusieurs écoles supérieures de commerce. Les éditions de Chiré ont publié en août 2012 son dernier livre politique, La Droite impossible, qui reprend l’idée de La Droite piégée, paru chez Communication & Tradition, en 1996, et réédité par Sicre, en 2003 ou 2004, dans sa belle collection bleu roi.
En réalité, La Droite impossible observe avec un pessimisme encore plus aiguisé la situation politique de la droite. Comme dit l’auteur : « la droite n’est pas piégée, car pour être piégée, encore faudrait-il pouvoir s’introduire dans le système ; c’est pire que cela, la droite est impossible, car elle est incompatible avec le système. ». Dans la première version, la droite était traquée par la gauche : il ne lui restait plus qu’à se rebiffer ou à fuir. Dans ce dernier livre, la droite est désormais le locataire sans droits, autre que celui de souffrir sans mot, d’un propriétaire omnipotent : la gauche. Celle-ci possède les clefs de la maison, et augmente peu à peu et sans retour les tarifs, par ce fameux effet de « cliquet » dont le développement est au cœur de l’ouvrage du professeur Adeline. La droite finit toujours par s’aligner sur les opinions de la gauche, avec le retard qui caractérise le « conservateur » qui n’a plus grand chose à voir avec ceux dont il est censé hériter intellectuellement.
Pour prouver ses dires, Yves-Marie Adeline compare la rencontre fictive entre un actuel citoyen de gauche et l’un de ses « Grands Ancêtres » et celle qui verrait se parler un actuel citoyen de droite et n’importe quel sujet du roi Louis VI, royaliste sans le savoir, ou même n’importe quel royaliste postérieur. Dans le premiers cas, quelle émotion ! « Ils ont tant de choses à se dire, tant d’idées à comparer, et la comparaison est d’autant plus facile qu’elles s’enracinent toutes dans un terreau philosophique commun : une même méfiance à l’égard du pouvoir en soi, jugé aliénant pour l’individu, un même refus de toute valeur transcendante. » En revanche, comment le sujet du roi, devenu royaliste, pourrait entendre La Marseillaise que chante son successeur avec ferveur sans frémir ? Comment ne se pâmerait-il pas à l’évocation du 14 juillet 1789, que son héritier passe à contempler les armées défiler ? Quelle haine ne le submergerait pas à la vue du drapeau tricolore dont la moindre souillure offusquerait son fils spirituel ? L’homme de droite est pris au piège par le sens de l’Histoire imposée par la Gauche, dont elle a l’invention, la propriété et la garantie. Le progressisme républicain est une fatalité, procédant par « cliquet », ces mesures (légales ou culturelles) irréversibles.
La Gauche a cependant besoin de la Droite pour pallier son incompétence (notamment dans le domaine économique, dont elle se moque) et se faire parfois un peu oublier du peuple qu’elle méprise. Alors, comme les conquêtes culturelles de la Gauche semblent inéluctables, la Droite les adopte souvent à son corps défendant, pour limiter la casse ou faire croire en son esprit d’initiative. C’est ainsi que nombre des idées défendues sans merci ni concession par la Gauche dans la sphère « métapolitique » (par son contrôle total de l’enseignement, de la culture, de l’édition, des médias, de la presse) sont votées par le locataire du régime. Tandis que, depuis 1789, le mouvement révolutionnaire s’est toujours plus gauchi, par des accès progressistes réguliers, la droite suit le mouvement comme elle peut, comptant à tort sur la prétendue neutralité ou arbitralité du système démocratique pour modifier le cours des événements. En réalité, la Droite est condamnée à attendre l’alternance, ou parfois l’homme providentiel. Mais la gauche saura aussi défendre ses acquis présentés comme irrémédiables (les 35 heures, la dénaturation du mariage, en le galvaudant pour tous, ou autres avancées anciennes, telles la représentativité des syndicats ou la mainmise sur les pratiques culturelles des Français) face à celui-ci.
Sur le temps long, la gauche finit toujours par triompher des rebuffades de son locataire. Il faut bien manger dans la gamelle de l’opinion fixée par la Gauche pour récolter des voix. Et même si la Droite parvenait à remettre en cause de nombreuses idées modernes de la gauche, elle serait toujours arrêtée par les idées fondatrices de la Révolution, matrices de toutes les idées nouvelles. L’exemple du mariage le démontre. Pour renouveler l’homme à travers sa vie intime, et sa vie sociale la plus fondamentale, la Révolution instaure le divorce le 20 septembre 1792. Il sera aboli sous la Restauration le 8 mai 1816 pour être définitivement rétabli par la Troisième République le 27 juillet 1884. Pas une décennie passe, pas une année même en ces temps qui sont les nôtres, sans que les conditions pour y accéder soient simplifiées. « Quel que soit le moyen utilisé : par l’élection, par le coup de force, par la démocratie ou par la dictature, la Droite, arrivée au pouvoir, a dû par la suite laisser la place au propriétaire légitime du système… Elle est appelée au pouvoir quand la Gauche a semé le chaos, menace de tout détruire et de se détruire elle-même… Quand la Droite a rétabli l’ordre, elle revient ». La Droite est le meilleur auxiliaire que la Gauche pouvait se trouver pour assurer la pérennité de son pouvoir. Et son exercice de celui-ci (le pouvoir) ne cesse de le corrompre, l’avilissant toujours davantage.
La Droite est donc impossible. Le sera-t-elle toujours ? « Jusqu’à présent, l’histoire du clivage droite-gauche a toujours parlé dans ce sens, dans le même sens, au point qu’on a fini par croire en un sens de l’Histoire elle-même. En théorie, ce sens unique n’existe pas. Dans la pratique, il est bel et bien là, inexorable, allant de la droite vers la gauche, de sorte que la Droite d’hier n’existe plus, que la Gauche d’hier est devenue la Droite d’aujourd’hui, et que la Gauche d’aujourd’hui sera la Droite de demain. » L’auteur conclut sans solution républicaine.