L’anarchie libyenne
L’aéroport de Tripoli, capitale de la Libye subit depuis dimanche des affrontements entre deux groupes armés et 90% des avions sur le tarmac auraient été touchés, notamment par des roquettes. Ces combats entre deux groupes rebelles, un islamiste et un « plus libéral » illustrent l’anarchie dans laquelle le pays s’est enfoncé depuis l’intervention occidentale et notamment française. Le gouvernement, incapable de faire respecter un cessez le feu envisage de faire appel à la force internationale, afin de donner « l’occasion à l’État de construire ses institutions, en particulier l’armée et la police». L’ONU a évacué temporairement lundi tout son personnel du pays.
La révolution et la guerre civile libyenne
Dans l’élan des « printemps arabes » tunisien et égyptien de nombreux Libyens ont décidé de mettre un terme aux quarante-deux ans de pouvoir de Mouammar Kadhafi, arrivé par un coup d’Etat en 1969. D’abord adulé par son peuple auquel il rend le pouvoir en créant la Jamahiriya arabe libyenne, il glisse peu à peu vers l’autoritarisme et la dictature. Diabolisé par la communauté internationale de par son interventionnisme en Afrique et son soutien au terrorisme, il redevient « fréquentable » dans les années 90, étant notamment accueilli à Paris en 2007 par le président Sarkozy.
En février 2011, des manifestions en Cyrénaïque à l’Est du pays, région traditionnellement rétive à l’autorité de Kadhafi, sont réprimées violement par balles. L’insurrection commence à Benghazi puis d’étend au reste du pays. S’ensuit alors une guerre civile entre différents groupes rebelles et l’armée et les mercenaires fidèles à Kadhafi. La contre-offensive de l’armée libyenne aurait probablement réussi sans le soutien et l’engagement aérien des forces françaises, américaines et britanniques au Comité national de transition. Après un vote de résolution à l’ONU le 17 mars 2011, une zone d’exclusion aérienne au-dessus de la Lybie est créée.
Dès le 19 mars des raids aériens de la coalition sont lancés contre les forces gouvernementales libyennes. Forts de ce succès les insurgés reprennent peu à peu le terrain et Mouammar Kadhafi est assassiné le 20 octobre 2011. La chute de Kadhafi et la guerre civile au nom de la démocratie cèdent alors place à une situation d’anarchie en Lybie.
La chute de Kadhafi et l’anarchie
La chute de Kadhafi a été un coup terrible pour la stabilité du pays et de la région. Avec cette révolte armée, les trois régions libyennes, toujours difficilement unifiables semblent irréconciliables, chaque tribu, chaque ethnie ou chaque groupe armé cherchant à s’emparer du pouvoir. En Lybie, le gouvernement est dans l’incapacité de dissoudre ou de désarmer les groupes d’ex-rebelles qui font la loi, dans un pays en proie au chaos et doit s’appuyer sur certains pour tenir face aux autres. Si certains groupes sont issus de différentes régions et se maintiennent à Tripoli, comme les rebelles de Zenten qui contrôlent l’aéroport et plusieurs sites militaires, d’autres sont des milices islamistes qui tentent de reprendre le pouvoir.
Si avec Kadhafi les frontières de la Libye était plutôt contrôlées et les mouvements djihadistes combattus, sa chute leur a laissé le champ libre pour œuvrer en Lybie. Les milices africaines noires, employées par Kadhafi pour sa sécurité car jugée plus fiables ont été chassées du pays et sont venues par la suite grossir les rangs des djihadistes que les soldats français combattent notamment au Mali.
Des combats éclatent régulièrement dans différents points du pays, entre groupes armées, prenants à partie le gouvernement, les populations civiles et les intérêts étrangers. Ainsi le 11 septembre 2012, une attaque de « manifestants » islamistes contre le consulat américain de Benghazi a conduit à la mort de l’ambassadeur américain en Libye et de trois fonctionnaires. Les attaques contre les occidentaux et les représentants du gouvernement central se multiplient. Benghazi a subi de nouvelles violences ces derniers jours, faisant sept morts et quarante-neuf blessés. Depuis mi-mai le général dissident Khalifa Haftar y a lancé une offensive contre les islamistes qui tiennent un hôpital de la ville.
A Tripoli ce sont les milices islamistes de la Cellule des opérations des révolutionnaires de Libye qui cherchent à déloger de l’aéroport les ex-rebelles de Zenten qui le contrôlent depuis 2011. Bien implantées dans la capitale, les Zentanis contrôlent l’aéroport et plusieurs sites militaires. Hostiles aux islamistes, ils sont considérés par leurs rivaux comme le bras armé du courant libéral. Ils feraient partie des brigades les plus disciplinées et les mieux armées de Libye. Surtout ils dépendent officieusement du ministère de la Défense. Pour autant ils poursuivent leur intérêt propre, ayant revendiqué l’attaque contre le Parlement le 18 mai en réclamant sa dissolution.
Les élections législatives et les réactions internationales
Les tensions se sont exacerbées entre libéraux et islamistes avec les élections législatives qui se sont tenues fin juin dans le pays. Si ces élections ont plutôt été boudées par la population, les résultats qui devraient être connus le 20 juillet semblent favorables aux libéraux. La Haute Commission électorale (HNEC) libyenne a déjà annoncé que seuls 184 sièges sur 200 avaient été pourvus, le vote ayant été annulé dans plusieurs bureaux en raison de violences. Ces élus devront remplacer le Congrès général national dont la légitimité est mise en cause car accusé d’avoir aggravé la crise en raison de la lutte d’influence entre les courants libéral et islamiste.
Face aux dégâts, à l’insécurité et aux assauts successifs l’aéroport de Tripoli a été fermé, tout comme celui de Benghazi. La Libye se retrouve en partie coupée du monde.
Les Etats-Unis s’inquiètent de la situation, déclarant être « très inquiets de la violence en cours en Libye et des prises de position dangereuses qui pourraient conduire à un conflit généralisé. Nous affirmons notre soutien à la transition démocratique libyenne et appelons à l’installation de la nouvelle Chambre des représentants le plus tôt possible ».
La France a annoncé redouter « une extension du conflit et appelle tous les partisans au calme et au dialogue ».
Alors que le gouvernement libyen a indiqué penser à « faire appel à des forces internationales sur le terrain pour rétablir la sécurité », la mission de l’ONU en Libye (Unsmil) a annoncé le « retrait temporaire de son personnel pour des raisons de sécurité ».