Le califat de l’Etat islamique
Les djihadistes de l’Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL), engagés en Syrie et en Irak dont ils contrôlent désormais une large partie, viennent d’annoncer dimanche 29 juin le rétablissement du califat, régime politique islamique disparu avec la chute de l’Empire ottoman. S’ajoute à cette annonce le changement du nom de l’organisation en Etat islamique, appuyant le caractère universel de ce califat. Ce qui peut ne représenter qu’une opération de communication est à considérer avec beaucoup d’attention, la proclamation du califat étant souhaitée par de nombreux croyants et la « nomination » d’Abou Bakr Al-Baghdadi comme calife pouvant lui donner une légitimité certaine et contribuer à le renforcer.
Le califat
L’Etat islamique avec à sa tête le nouveau calife Ibrahim vient de rétablir le califat, disparu depuis un siècle et sa dissolution par Atatürk avec l’effondrement de l’Empire ottoman. Le calife (lieutenant) et le successeur du prophète Mahomet, représentant de Dieu sur terre. Il assure la direction de la communauté des croyants.
Avec cette proclamation le califat s’étend d’Alep dans le Nord de la Syrie jusqu’à Diyala dans l’Est de l’Irak sur les territoires contrôlés par le groupe djihadiste. En Irak le groupe contrôle Mossoul, la majeure partie de sa province Ninive et des secteurs comme Salah ad-Dine et Diyala. En Syrie profitant du conflit le groupe a pris le contrôle de la ville de Raqqa et d’une partie des provinces de Der ez-Zor et d’Alep. L’Etat islamique montre qu’il est là pour durer et s’impose aux yeux des populations sunnites de la zone qu’il contrôle.
Si dans les faits ce califat où la zone contrôlée par l’Etat islamique perdure, ce sera la disparition confirmée de l’accord Sykes-Picot ayant fondé les Etats nations de la région avec la proclamation plausible d’un Etat kurde, d’un Etat sunnite et d’une zone chiite.
Les enjeux pour l’Etat islamique
La proclamation rapide de ce califat et le changement de nom du groupe djihadiste ne sont pas anodins. Ils résultent d’une recherche de légitimité et d’une lutte de pouvoir avec les groupes et les Etats voisins.
Le nom Etat islamique supprime toute référence à l’Irak et au Levant, indiquant l’intention d’Abou Bakr Al-Baghdadi de prendre la tête des musulmans du monde entier. C’est en effet le but du califat, avec un calife régnant sur l’oumma, la communauté des croyants. Les djihadistes font appel à l’imaginaire évoquant l’époque de l’Islam conquérant pour gagner l’universalisme musulman. Le nouveau calife l’a annoncé « Musulmans […] rejetez la démocratie, la laïcité, le nationalisme et les autres ordures de l’Occident. Revenez à votre religion. » Son porte-parole indique qu’il est du « devoir » de tous les musulmans du monde de prêter serment à son chef, successeur de Mahomet et donc légitime détenteur du pouvoir politique.
En proclamant le califat, l’Etat islamique montre qu’il est là pour durer, et qu’il est le groupe et le pouvoir légitime. Leur présence ayant déjà débordée en Jordanie, au Liban et en Arabie Saoudite ces djihadistes constituent une menace pour le Moyen-Orient. Des appels à attaquer les lieux saints d’Arabie ont été lancés, après une promesse du roi saoudien d’écraser les terroristes menaçants son pays. La proclamation s’adresse par ailleurs, et c’est primordial, à l’ensemble de la nébuleuse djihadiste, le communiqué affirmant qu’ « ilest du devoir de tous les musulmans de prêter allégeance au calife et de le soutenir ». L’Etat islamique demande donc aux autres groupes tels qu’al-Qaïda ou le Front al-Nostra de se soumettre à son autorité en avançant trois arguments ;l’étendue de son territoire, la puissance militaire et financière qui en découle, et la création hautement symbolique de ce califat.
Surtout en se proclamant calife, il lance ainsi l’anathème sur Maliki, sur Bachar el-Assad et sur tous les musulmans qui voudraient le combattre.La proclamation du califat peut aussi amener à Baghdadi des nouveaux combattants venus de tout le monde musulman, du Maghreb à l’Indonésie et même d’Europe. Il pourrait aussi accéder à de nombreux financements, car beaucoup rêvent du rétablissement du califat.
La réaction de l’occident
Les réactions de la communauté internationale à cette crise, créée par les interventions américaines, différent mais s’accordent sur la dangerosité de la situation. Le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou a appelé la communauté internationale à soutenir le régime jordanien et l’indépendance du Kurdistan irakien face à cette menace de « l’islamisme extrémiste ». Les Etats-Unis, un temps en discussions avec l’Iran, ont envoyé des experts militaires et des drones. Enfin la Russie vient de livrer cinq avions de chasse Sukhoi 25, sur une douzaine commandée, à l’armée gouvernementale irakienne.
Le Premier ministre irakien Nouri al-Maliki, semble ouvert à la composition d’un gouvernement d’union pour faire face à la situation.
L’intervention américaine de 2003 et l’arrivée au pouvoir d’un Premier ministre chiite, marginalisant les sunnites a conduit à cette situation explosive en Irak. Celle-ci a été favorisée par le conflit syrien et le soutient occidental et notamment français à une rébellion toujours plus contrôlée par les groupes djihadistes. L’annonce de ce califat « est le développement le plus important dans le djihad international depuis le 11-Septembre », affirme Charles Lister, chercheur associé à Brookings Doha« Tous les groupes liés à Al-Qaida et les mouvements djihadistes indépendants vont désormais devoir décider s’ils soutiennent l’Etat islamique ou s’ils s’opposent à lui. Cela pourrait marquer la naissance d’une nouvelle ère de djihadisme transnational (…) et cela pose un véritable danger à Al-Qaida et à son leadership. »