L’euthanasie aux Pays-Bas
L’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD) a lancé ce jeudi 29 octobre 2014 sa campagne de communication afin de réclamer la légalisation de l’euthanasie en France en ces termes « François fais comme la Hollande ». Les Pays-Bas ont en effet adopté en 2001 une loi autorisant l’euthanasie et le suicide assisté. Se voulant humoristique sur un sujet aussi grave, l’ADMD de Jean-Luc Romero a utilisé un bien mauvais exemple en choisissant un pays dans lequel ont lieu tant de dérives depuis l’adoption de la loi il y a treize ans. Dans ce pays plus de 300 euthanasies sont réalisées encore chaque année sans accord explicite du patient.
Etat des lieux de la législation hollandaise
- Pratiques préalables à la légalisation
Les Pays-Bas ont adopté une législation qui est venue régulariser une situation de fait.
Bien qu’interdite par le Code pénal, l’euthanasie était déjà pratiquée sans pour autant porter préjudice au médecin qui respectait les règles suivantes :
– Demande explicite et répétée
– Demande éclairée, libre et persistante
– Aucune perspective de soulagement
– Solution de dernier recours
– Consultation d’au moins un autre médecin.
Une loi a été adoptée en 1993 pour mettre les médecins à l’abri des poursuites s’ils pratiquaient une euthanasie en respectant les règles évoquées ci-dessus. En ce qui concerne le suicide assisté, la Cour Suprême des Pays-Bas a adopté une position ambiguë dans son arrêt Boudewijn Chabot de 1994. Elle a accepté le principe d’une justification d’une assistance au suicide, mais en imposant certaines règles. En 1995, la Cour a en outre autorisé l’euthanasie de nouveaux nés gravement handicapés, dans la mesure où les médecins avaient respectés les souhaits des parents.
- Légalisation des pratiques[1]
Déposé devant la chambre des représentants en 1999, le projet de loi légalisant l’euthanasie et le suicide assisté a été adopté en 2001.
Sans dépénaliser l’euthanasie à proprement parler, la législation néerlandaise l’encadre. En effet, l’incitation au suicide, l’euthanasie et l’aide au suicide demeurent juridiquement des infractions pénales. Mais la loi introduit une excuse exonératoire de responsabilité pénale au profit du médecin qui respecte cinq critères de minutie :
1) La demande du patient doit être volontaire et mûrement réfléchie. Le consentement du patient qui n’est plus en état de l’exprimer peut être pris en compte, s’il a préalablement établi une déclaration écrite en ce sens et est âgé d’au moins 16 ans.
2) Les souffrances du patient sont insupportables et sans perspective d’amélioration.
3) Le patient doit avoir été pleinement informé de sa situation et des perspectives qui sont les siennes.
4) Le médecin et le patient sont parvenus conjointement à la conclusion qu’il n’existe pas d’autre solution raisonnable.
5) Un autre médecin indépendant doit avoir été consulté et doit avoir donné par écrit son avis sur les critères de minutie. Dans l’hypothèse où la demande d’euthanasie est formulée par un patient souffrant de troubles mentaux, deux médecins indépendants doivent avoir été consultés dont au moins un psychiatre.
L’euthanasie des mineurs est possible dès leurs 12 ans. Le consentement de leurs parents demeure obligatoire jusqu’à leurs 16 ans.
Depuis 2005, un protocole appelé « protocole de Groeningen » énumère les conditions et les étapes à suivre dans le cadre des décisions de fin de vie de jeunes enfants, essentiellement des nouveau-nés.
- Statistiques
Année |
Décès par euthanasie déclarés |
Décès par suicide assisté déclarés |
Décès par euthanasie et suicide assisté (combinés) déclarés |
2003 | 1 626 | 148 | 41 |
2004 | 1 714 | 141 | 31 |
2005 | 1 765 | 143 | 25 |
2006 | 1 765 | 132 | 26 |
2007 | 1 923 | 167 | 30 |
2008 | 2 146 | 152 | 33 |
2009 | 2 443 | 156 | 37 |
2010 | 2 910 | 182 | 44 |
2011 | 3 446 | 196 | 53 |
Source : Rapports annuels publiés par les comités régionaux d’examen de l’euthanasie.
Notamment : Annual Report 2007 > 2011, La Haye, Annual Report 2003> 2006, Amhem
Le nombre de décès par euthanasie déclarée a donc été multiplié par 2 en huit ans.
Les dérives constatées
- Une interpellation du Comité des Droits de l’homme de l’ONU
En juillet 2009, le Comité des Droits de l’homme de l’ONU s’est inquiété du nombre élevé de cas d’euthanasies et de suicides assistés. Il a demandé aux Pays Bas de réviser la législation pour se mettre en conformité avec les dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966. Deux sujets ont été abordés en particulier :
– Le nombre important d’euthanasies et de suicides assistés, et sa progression chaque année ;
– Certaines modalités posent question : le fait d’autoriser un médecin à mettre fin à la vie d’un patient sans recourir à l’avis d’un juge, et le fait que le deuxième avis médical requis puisse être obtenu au travers d’une ligne téléphonique d’urgence.
- Des euthanasies clandestines persistantes
Courant 2008, des députés français se sont rendus aux Pays-Bas dans le cadre de l’évaluation de la loi fin de vie de 2004. Le Rapport d’information de novembre 2008 relève que le taux de signalement des cas d’euthanasie est en constante augmentation depuis 2002. Cela n’empêche pas un fort taux d’euthanasies clandestines, estimé par le Ministère de la Santé néerlandais à 20% qui pose donc la question de la transparence de cette législation.
En 2012 le journal néerlandais De Volkskrant révèle que près de 300 euthanasies avaient été réalisées sans demande explicite de la part du patient ou de ses proches au cours de l’année.
- Un manque de respect et de contrôle des procédures
Cette loi présente plusieurs caractéristiques qui interrogent :
– Les critères d’évaluation du degré de la souffrance du patient sont flous. Le contrôle qui se fait à posteriori vérifie plus le respect de la procédure que la réalité des motifs médicaux justifiant cette euthanasie ;
– l’appréciation du médecin est subjective et la méconnaissance de la loi n’est pas sanctionnée ;
- Sédations inappropriées
Selon une étude du Centre Intégral du Cancer néerlandais (IKNL), les soins apportés aux patients en phase terminale ne sont pas appropriés. Chaque année, 1700 cas de sédations en fin de vie relèveraient d’une pratique inadéquate pouvant cacher des euthanasies.
- Exil de personnes âgées
L’Ordre des médecins allemands fait état de l’installation croissante de personnes âgées néerlandaises en Allemagne voisine. S’y sont ouverts des établissements pour personnes âgées accueillant des Néerlandais. Ces personnes craignent en effet que leur entourage ne profite de leur vulnérabilité pour abréger leur vie. Elles n’ont plus confiance dans les praticiens hollandais. Les pratiques médicales hollandaises sont mal vécues par une partie de la population.
- Des euthanasies sur des personnes ne remplissant pas les conditions
Le rapport 2009 des commissions régionales de contrôle néerlandaises fait état de 12 cas d’euthanasie pratiquée pour des maladies neurologiques, dont des personnes démarrant la maladie d’Alzheimer.
- Les soins palliatifs ne sont pas suffisamment utilisés.
Les pouvoirs publics n’ont pas prêté l’attention nécessaire aux soins palliatifs et à l’accompagnement des mourants.
L’ADMD semble donc avoir choisi un bien mauvais exemple pour promouvoir sa demande de légalisation de l’euthanasie. Cette loi, loin de ne faire qu’encadrer des euthanasies déjà existantes, les a démultipliées, et n’a pas réussi à toutes les encadrer. Dans ce pays où plus de 300 euthanasies par an sont réalisées sans l’accord du patient les personnes âgées n’ont plus confiance envers le personnel médical. Tout comme la Belgique les Pays-Bas sont présentés comme un exemple à suivre sur les questions de fin de vie mais commencent à donner un aperçu sérieux de dérives jugées inconcevables dans un premier temps. Et cela se manifeste seulement treize ans après l’entrée en vigueur de cette loi sur l’euthanasie active. La majorité des demandes d’euthanasie seraient liées à une souffrance physique insupportable et donc à de mauvaises pratiques médicales dans le traitement de la douleur. Les Pays-Bas semblent avoir fait le choix de former ses médecins aux maniements des produits létaux plutôt qu’aux soins palliatifs. Dès lors le malade n’a donc le choix qu’entre souffrir ou demander l’euthanasie. Il faut lui offrir un troisième choix : être soulagé de sa douleur. Il est donc primordial, avant toute chose, de poursuivre le programme de développement des soins palliatifs en France et d’empêcher toute loi sur l’euthanasie qui entrainerait automatiquement ces terribles dérives.
[1] Bibliothèque du Parlement Canadien – Publication n°2011-67-F : Euthanasie et suicide assisté, l’expérience internationale, pp. 11-14
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