Morlaix : une jacquerie ?
Le samedi 26 octobre 2013, plusieurs centaines de personnes coiffées de bonnets rouges s’étaient violemment opposées aux forces de l’ordre en donnant l’assaut au portique écotaxe de Pont-de-Buis, dans le Finistère. Un peu moins d’une année après la naissance du mouvement des Bonnets rouges, la colère des agriculteurs et ouvriers bretons n’est toujours pas apaisée malgré les promesses du gouvernement. En effet, ce weekend, la Bretagne a de nouveau fait parler d’elle et suscité de vives polémiques dans le petit monde politico-médiatique. La cause de cet émoi : le saccage et la destruction de deux bâtiments publics au cours de la nuit du 19 au 20 septembre. S’insurgeant contre les contraintes fiscales et administratives qu’ils subissent, plusieurs dizaines de légumiers ont ainsi mis le feu au centre des impôts et à la Mutualité sociale agricole de la ville de Morlaix. Ils ont également déversé plusieurs tonnes de légumes invendus et de fumier. Sans doute, avons-nous là de nouveaux cas atteints de « phobie administrative » à l’instar de l’éphémère secrétaire d’État, mais néanmoins toujours député (!), Thévenoud…
La Bretagne, une vieille terre frondeuse en révolte contre l’État
Si ces derniers temps, l’exaspération d’une importante partie de la population bretonne est une réalité bien prégnante et semble avoir atteint un niveau critique qu’il serait dangereux de sous-estimer (manifestations à répétition, portiques écotaxes dégradés, radars mis hors d’usage, bâtiments officiels endommagés, …), cette situation n’a en soi rien de nouveau pour qui connaît un peu l’histoire de la Bretagne et de ses jacqueries mémorables. D’ailleurs, le Mouvement des Bonnets rouges ne faisait-il pas justement référence à l’une des plus célèbres d’entre elles ? À savoir la révolte des Bonnets rouges, appelée aussi révolte des Torreben (Casse-têtes) ou encore révolte du papier imprimé. Celle-ci eut lieu en 1675 sous le règne de Louis XIV et trouvait son origine dans la levée de nouveaux impôts décidée par le contrôleur général des finances du royaume, Jean-Baptiste Colbert. Comme quoi, il arrive que l’histoire se répète.
À plusieurs reprises, Morlaix, petite sous-préfecture du Finistère de 15 000 habitants, a été victime de la colère des agriculteurs et ouvriers bretons, notamment en 1961, 1966 et 2013. Le 8 juin 1961, le bâtiment de la sous-préfecture était investi par 1500 cultivateurs d’artichauts et de choux fleurs mécontents de l’effondrement des cours et des difficultés qu’ils rencontraient pour écouler leur production. Le 19 décembre 1966, près de 6000 aviculteurs prenaient d’assaut la mairie et la saccageaient. Plus proche de nous, le 4 novembre 2013, la sous-préfecture était de nouveau prise pour cible, mais cette fois par les salariés de l’entreprise Tilly-Sabco en grande difficulté financière.
Un mouvement de colère légitime
La crise actuelle qui secoue une grande partie du secteur agricole en Bretagne (mais aussi dans plusieurs autres régions rurales françaises) est loin d’être résolue et résulte d’une multitude de problèmes pour lesquels le gouvernement ne prend aucune mesure intelligente. Les agriculteurs doivent ainsi faire face à une fiscalité et à des charges de plus en plus lourdes. À ce sujet, Jean-François Jacob, président de la Société d’intérêt collectif agricole (Sica) de Saint-Pol-de-Léon, le premier groupement français de producteurs de légumes, a des mots durs à l’égard de l’administration française : « Désormais, après le paiement des cotisations sociales et les impôts, il ne reste plus rien. Certains se retrouvent avec à peine le Smic pour des semaines de 80 heures de travail. Les producteurs doivent aussi supporter tous les jours une incompétence administrative qui nous fait perdre des marchés » (Entretien accordé à Libération). La « paperasse » administrative, déjà sans fin, ne cesse de s’accroître. Les réglementations françaises et les directives européennes empêchent les agriculteurs de travailler efficacement. Jean-François Jacob en donne un exemple flagrant : « alors qu’on expédiait depuis des dizaines d’années de l’oignon à la Réunion, ce marché a été pris par les Hollandais à la suite de problèmes administratifs qui bloquaient les conteneurs en métropole ». Dans un contexte politique et économique délicat, la douceur climatique en Europe centrale au cours de l’hiver 2013-2014 n’a pas aidé puisqu’elle a entraîné une surproduction et donc, logiquement, l’effondrement des prix de vente. Là-dessus sont venues se greffer les conséquences désastreuses de la diplomatie française à l’égard de la Russie. L’embargo russe, mis en place début août par Poutine en réponse aux sanctions européennes, a en effet renforcé les problèmes de surproduction : les fruits et légumes des pays européens, normalement destinés au marché russe, se sont finalement retrouvés sur les étals des grandes surfaces françaises. Pour soutenir les agriculteurs bretons, l’Union européenne n’a rien trouvé de mieux que d’apporter une aide financière s’élevant à 23 centimes par producteurs… Bien évidemment, les grands distributeurs en ont profité pour mettre davantage de pression sur ceux-ci dans le but d’obtenir des légumes de meilleure qualité à des prix toujours plus bas.
Aussi, la violence des légumiers bretons n’est-il qu’une réponse à la violence de l’État socialiste à leur encontre. Le maire UMP de Morlaix, Mme Agnès Le Brun, l’a bien noté lorsqu’elle a affirmé sur France Info qu’elle comprenait et trouvait logique leur réaction, sans toutefois cautionner les destructions de biens publics : « Des alertes ont été données depuis des jours et des semaines. Les agriculteurs sont accablés par les charges sociales, les impôts, les dettes, accablés par le fait que ce que vous achetez sept euros le kilo dans un supermarché, on le leur paye sept centimes à la production. »
Un gouvernement autiste et des syndicats dépassés par leur base
Le weekend dernier, en s’en prenant une fois de plus aux symboles de l’État, les légumiers bretons ont voulu faire entendre leur voix auprès d’une classe politique qui ne veut pas les écouter et, au fond, les méprise. Les « sans-dents » n’intéressent pas François Hollande et son équipe de bras cassés. Quant à la justice, elle se montre d’une fermeté et d’une inflexibilité qu’on lui connaît rarement : quelques heures avant l’incendie du centre des impôts de Morlaix, la Jirs (Juridiction interrégionale spécialisée) s’est illustrée en condamnant 11 militants des Bonnets rouges à des peines de prisons dont cinq à des peines de prison ferme. La condamnation la plus dure s’élève ainsi à 3 ans de prison dont 18 mois avec sursis. Cette sévérité n’étonne plus tant c’est devenu une habitude en France de relaxer ceux qui méritent d’aller en prison et d’y envoyer ceux qui s’opposent aux visées idéologiques de l’État. Qu’il suffise de rappeler que les femens se permettent de souiller les églises et de cracher leur haine de la religion en toute impunité, que les militants antifa peuvent saccager le mobilier urbain et d’attaquer les forces de l’ordre sans être inquiétés, que des racailles des banlieues, très majoritairement issues de l’immigrations, pillent les bus et les commerces, brûlent les voitures et cassent les restaurants situés près du Trocadéro sans être poursuivis, etc., etc. Alors évidemment, lorsque des Bonnets rouges sont envoyés en prison, il y a de quoi être révolté et consterné par le comportement de ce pouvoir « dur avec les faibles et faible avec les durs », laxiste avec les vrais criminels et intraitable avec les besogneux qui survivent tant bien que mal et qui n’ont plus que la violence comme ultime recours.
Dans ce contexte et devant un tel « deux poids, deux mesures », les menaces de Manuel Valls, et de son gouvernement, qui promettent des poursuites judiciaires contre les légumiers de Morlaix, ne feront qu’accroître l’exaspération de ces agriculteurs confrontés à une crise particulièrement forte et aiguë. Mais que pouvait-on espérer d’autre de la part d’un gouvernement qui brille par son incompétence ? Selon la maire de Morlaix « nous avons un gouvernement particulièrement autiste sur cette question agricole. Le ministre n’a jamais reçu, écouté, entendu. Cette colère s’apparente à une jacquerie. Ce n’est pas une colère spontanée, c’est une colère qui a mûri depuis plusieurs semaines. Elle aurait pu être éteinte partiellement par le simple fait de recevoir les gens, de les écouter, d’entamer un dialogue. » Et d’ajouter : « c’est une jacquerie, une révolte qui part de la base, complètement déstructurée, hors des relations syndicales. Les syndicats sont dépassés par la base. » De son côté, le FN fait le même constat lorsqu’il dénonce dans un communiqué « la responsabilité accablante de l’actuel gouvernement, qui refuse de prendre sérieusement en considération la crise qui lamine les filières agricoles françaises depuis plusieurs années. (…) La filière légumière a dû subir la délocalisation des conserveries vers l’Europe de l’Est, le traité de libre-échange avec le Maroc et la concurrence sauvage des producteurs italiens et espagnols, qui n’hésitent pas à recourir à de la main-d’œuvre clandestine et sous payée. (…) Le gouvernement ment quand il prétend avoir pris les mesures suffisantes pour soutenir les filières agricoles » et « il est dans le déni de réalité quand il prétend traiter l’explosion de colère d’hier par la seule force. »
Les événements de Morlaix illustrent les incohérences et les mauvais choix de l’équipe au pouvoir. Ils sont un condensé de leur politique désastreuse, en particulier dans le domaine économique. Ils montrent également l’incapacité chronique des gouvernements Ayrault et Valls à tenir un discours d’apaisement et à imaginer, ne serait-ce qu’un instant, les réalités quotidiennes que vivent la majorité des agriculteurs français. Aussi est-il grand temps que les dirigeants politiques actuels sortent de leur tour d’ivoire et se préoccupent enfin de la disparition de notre agriculture. Le sujet est grave, les importants taux de suicide dans nos campagnes le confirment. C’est pourquoi, il est impératif que, rapidement, des mesures énergiques soient prises et des remèdes salutaires appliqués. Nous ne pouvons en effet abandonner à un destin tragique cette part essentielle de l’identité de la France qu’est le monde agricole.
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