Escalade du conflit en Ukraine : à quoi jouons-nous ?
Début février les autorités et médias occidentaux se sont offusqués de la présence au dessus de la Manche de deux bombardiers russes de l’époque soviétique. Si cette sortie ressemble évidemment à une provocation de la part du pouvoir russe, elle ne doit pas nous faire oublier que des Rafales et des Mirages 2000 francais ont régulièrement patrouillé l’an dernier le long des frontières orientales polonaises et baltes. De plus le 30 janvier 2015 le ministre de la Défense a annoncé le déploiement de chars Leclerc français en Pologne, dans le cadre d’un exercice de l’OTAN. Il est certain que l’on peut connaître mieux en terme de non provocation.
Sur le terrain les combats s’intensifient entre les Ukrainiens fidèles à Kiev et les séparatistes qui n’ont pas supporté le renversement de leur président, démocratiquement élu sur tout le territoire, par une partie seulement des Ukrainiens occidentaux et pro rattachement à l’Union européenne. Les séparatistes recevraient sur le terrain un fort soutien de la Russie ; soutien matériel voire humain. De plus en plus se font entendre en Occident (en particulier aux Etats-Unis et dans les anciens satellites de l’URSS) des voix qui demandent d’armer l’Ukraine. Une telle décision calquée sur la position américaine de la part de la France serait terrible pour nous et pour l’équilibre de l’Europe.
Rétablir un rapport de force pour arriver à un compromis ?
Les combats en Ukraine ne cessent de s’intensifier faisant de nombreuses victimes et particulièrement des civils dans les territoires de l’Est. Les rebelles ou séparatistes semblent recevoir un fort soutien russe, ce qui leur a permis de reconquerir des territoires.
En Occident des voix croisantes (influencées par le think tank américain Atlantic council) jugent urgent de livrer des armes à Kiev afin de « rétablir un rapport de force sur le terrain pour contraindre la Russie à un compromis. » Une telle décision semble hasardeuse, le compromis n’étant pas dans les objectifs de Kiev victorieuse.
Selon Yves Boyer (professeur de relations internationales à l’Ecole polytechnique et directeur adjoint de la Fondation pour la recherche stratégique) si pour rétablir l’équilibre dans le rapport des forces, il faut armer la partie faible, « rien ne garantit que l’équilibre qui nous convient sera le même que celui qui convient à Kiev ». Il n’y a pas de leadership de décision entre le président Porochenko et son Premier ministre Iatseniouk, et l’armée ukrainienne « ressemble moins à une armée organisée qu’à des gens qui lèvent des bataillons, dont certains sont ouvertement néo-nazis ». « Ensuite, quand on combat des « terroristes » puisque c’est ainsi que sont qualifiés les rebelles pro-russes à Kiev, on les éradique. Il n’est pas question de trouver ce que nous appelons, nous, un « équilibre ».
La livraison d’armes à l’Ukraine semble sonc une bien mauvaise solution. « Si on fournit du matériel, il faudra d’abord apprendre aux armées ukrainiennes à s’en servir. Cela demande du temps. » « Quant à leur passer des systèmes perfectionnés de brouillage de radio-télécommunications, il faudrait le faire avec parcimonie car s’ils tombent aux mains des rebelles, donc des Russes, cela signifierait donner des technologies aux Russes. »
Un risque d’escalade militaire :
Cette guerre se passe aux portes de la Russie et celle-ci peut s’estimer agressée en cas d’implication militaire occidentale. La volonté d’extension de l’OTAN à l’Ukraine porterait l’Organisation directement sur les frontières de la Russie : une provocation américaine insupportable aux yeux de Moscou. Les sanctions économiques destinées à mettre à terre la Russie enveniment la situation. Pour Yves Boyer « on a beaucoup tendance à personnaliser ce conflit à un combat contre Poutine. La Russie est un grand pays et ce pays considère qu’il a parfois, dans sa sphère d’influence, des intérêts vitaux à défendre. Et quand une puissance nucléaire commence à s’échauffer cela devient dangereux. Une aide logistique occidentale massive pourrait légitimement pousser les Russes à aider encore plus les gens du Donbass avec des moyens pour prendre tout le territoire que l’on appelle Novorossia, voire à entrer dans un affrontement direct. A nier la réalité de l’autre, on commet des erreurs. On appelle la menace « Poutine » parce que c’est confortable, cela donne une cible, mais les Russes ont des intérêts, on ne peut pas considérer que les dynamiques que l’on encourage sont sans effet sur Moscou. Moscou peut juger ces dynamiques extraordinairement menaçantes. »
Retouver une solution politique :
La Russie est un pays qui retrouve sa fierté après l’humiliation des années 90. L’intérêt économique et sécuritaire de la France est dans de bonnes relations avec Moscou. Nous ne pouvons pas nous permettre de suivre aveuglement la ligne américaine et les velléités revanchardes des anciens satellites de l’URSS.
L’Europe est totalement absente du dialogue politique. Elle s’aligne sur la position américaine qui veut « la peau de Poutine ». Les Européens n’ont fait qu’encourager les Ukrainiens, sans intervention diplomatique mesurée.
Cette semaine, Angela Merkel et François Hollande sont allés à Kiev puis à Moscou pour tenter de négocier un accord de paix, sans réussite pour le moment. Le président français a rappelé que «La France n’est pas en guerre en Ukraine et elle ne veut pas être en guerre en Ukraine. Elle veut éviter la guerre et elle n’en sera pas, parce que je considère que la France ne peut pas rentrer dans cette logique et que, pour le moment, nous devons tout faire pour que ce soit la politique et la diplomatie qui reprennent leurs droits». Il a égalemment répété que la France n’était pas favorable à l’entrée de l’Ukraine dans l’Otan.
Néanmoins à son retour de Moscou il a eu un discours alarmant en déclarant «Si nous ne parvenons pas à trouver non pas un compromis mais un accord durable de paix, eh bien nous connaissons parfaitement le scénario: il a un nom, il s’appelle la guerre».
Du côté de l’UMP, Nicolas Sarkozy a voulu prendre ses distances avec la ligne américaine. Il a légitimé, mardi 10 février 2015, l’annexion de la Crimée par la Russie en admettant que «Si le Kosovo a eu le droit d’être indépendant de la Serbie, je ne vois pas comment on pourrait dire avec le même raisonnement que la Crimée n’a pas le droit de quitter l’Ukraine pour rejoindre la Russie». Il a ajouté que «la séparation entre l’Europe et la Russie est un drame. Que les Américains la souhaitent, c’est leur droit et c’est leur problème (…), mais nous ne voulons pas de la résurgence d’une guerre froide entre l’Europe et la Russie».
En effet il faut absolument renouer le dialogue et cela ne se fera pas en armant un des partis. La guerre froide est restée froide car les puissances nucléaires ne sont pas allées « au-delà d‘un certain seuil d’attitude négative ». Les diplomates européens doivent trouver les moyens de sortir de la crise, pas d’entrer en guerre, surtout contre la Russie qui est une alliée objective dans le combat contre le terrorisme islamiste.
Vladimir Poutine, Petro Porochenko, François Hollande et Angela Merkel doivent se retrouver mercredi soir à Minsk.