Les primaires en France : quelles perspectives ? Entretien avec Guillaume Bernard
Guillaume Bernard, Maître de conférences (HDR) à l’ICES (Institut Catholique d’Etudes Supérieures) a accepté de répondre aux questions de France Renaissance sur les perspectives des primaires en France.
France Renaissance. Les primaires avaient été envisagées au début de la décennie 1990 pour éviter une concurrence inutile entre partis de droite. Pour certains, elle constitue un phénomène « plus stratégique que démocratique »[1]… L’organisation des primaires est-elle une réponse adaptée à la préparation de la présidentielle ?
Guillaume Bernard. Le phénomène des primaires est, en France, très récent. Celles-ci concernent essentiellement la présidentielle, mais peuvent aussi être mises en œuvre pour d’autres scrutins (comme les municipales). Il est nécessaire de distinguer les primaires internes (où seules les instances propres à un parti interviennent), des primaires ouvertes (où sont appelées à se prononcer toutes les personnes déclarant partager les idées du parti concerné). A cela s’ajoute une autre distinction : la primaire peut ne concerner qu’un seul parti ou être organisée avec plusieurs d’entre eux. C’est le PS qui, en 2011, a inauguré, en France, des primaires ouvertes et réunissant plusieurs partis afin d’éviter le traumatisme de 2002 (son absence du second tour de la présidentielle en raison de la multiplication des candidatures à gauche). La droite modérée s’est finalement ralliée à cette pratique pour la prochaine présidentielle.
Les primaires appellent trois commentaires : en premier lieu, une procédure réunissant plusieurs partis est quelque peu hypocrite. Le poids (électoral) très disparate entre les partis participant à une primaire relativise l’aspect démocratique d’une telle procédure, puisque la désignation d’un candidat issu d’un petit parti est peu probable. Si les petits partis ont, dans un régime à dominante parlementaire un poids surdimensionné par rapport à leur représentativité électorale (ils sont les partis charnières permettant de constituer une majorité), ils jouent dans une primaire pour la présidentielle un rôle de caution et de force supplétive. A l’inverse, aucun parti politique d’envergure ne peut envisager de ne pas être représenté au premier tour de la présidentielle : c’est l’élection majeure en France, celle où la participation est la plus forte, celle où les rapports de force entre les partis s’établissent. D’autre part, les primaires ouvertes emportent une principale conséquence : elles relativisent l’impact du principe « monarchique ». Le chef du parti (Président, Premier secrétaire, etc.) n’est plus le seul et candidat naturel à la présidentielle ; même s’il contrôle l’appareil, il n’est pas certain d’être désigné. Enfin, l’impact des primaires ouvertes repose sur une incertitude importante : la désignation dépend de l’étendue (une forte participation favorise l’élimination des candidatures extérieures dénoncées comme parasites) et de la composition (une sur-participation des personnes âgées favorise un choix « conservateur ») du corps électoral.
France Renaissance. Une grande activité à droite ; un immobilisme silencieux de la part des Socialistes… Les « grands partis » goûtent trop – ou trop peu, ce mode de scrutin préalable. Que révèle selon vous cette attitude de chacun des deux partis ?
Guillaume Bernard.La chose n’a rien d’étonnant. Le parti dans l’opposition cherche son meilleur candidat, en tout cas celui qui pourrait lui assurer le plus facilement possible la victoire. A l’inverse, celui du président de la République en place est contraint d’attendre la décision de ce dernier pour choisir un éventuel candidat se substituant au chef de l’Etat sortant. Si François Mitterrand ne s’était déclaré que quelques semaines avant le scrutin de 1988 et avait mené une campagne éclair, François Hollande, quant à lui, a annoncé qu’il se déclarerait bien en amont de la campagne officielle. Cependant, ce qui est parfaitement logique, il ne le fera qu’après la primaire de la droite, ce qui lui permettra de prendre sa décision aussi en fonction de ses adversaires déclarés.
France Renaissance. Quels enseignements est-il possible de tirer du nombre assez important de candidats à la primaire de la droite ? Existe-t-il des convergences entre l’actuelle primaire de la droite et celle de la gauche de 2011 ?
Guillaume Bernard.Il ne s’agit, pour l’instant, que de candidats à la candidature… Il est vraisemblable que tous ne rempliront pas les conditions de parrainage des élus (en particulier des parlementaires) pour être effectivement dans la course de la primaire.
De l’expérience socialiste de 2011 et de celle de la droite aujourd’hui, il est possible de tirer trois enseignements : celui, en premier lieu, de l’usage qu’il en est fait. Certains se servent de la primaire pour asseoir leur positionnement politique (sans espérer être effectivement le vainqueur de la procédure) : essayer de « vendre » leur ralliement, espérer peser suffisamment pour briguer des investitures ou des postes (notamment des portefeuilles ministériels). D’autre part, pour gagner la présidentielle, le parti dans l’opposition au niveau national table sur l’effet de balancier (qui se manifeste lors des élections intermédiaires) et le « plafond de verre » qui empêche, pour l’instant, le FN de l’emporter dans un scrutin majoritaire à deux tours (où ne peuvent être présents que deux candidats) ; cela la conduit à une sorte d’éparpillement tandis que le camp d’en face est beaucoup plus en ordre de bataille. Enfin, les « gros » candidats ont très peu de divergences programmatiques ; c’est surtout en fonction de leurs personnalités qu’ils sont départagés par les médias et les électeurs potentiels de la primaire qui cherchent avant tout un champion capable de rassembler un camp. Les spécificités idéologiques sont surtout perceptibles parmi les « petits » candidats.
France Renaissance. Que penser de la « Primaire des Français », cette initiative lancée par quelques personnalités et des micro-partis ? Comment interpréter leur discours officiel ?
Guillaume Bernard.Il y a, là, une convergence de l’aspiration des citoyens à l’expression de la souveraineté populaire (contre la domination de la démocratie représentative et le mépris des politiques pour le référendum) et de l’intérêt de petites organisations qui cherchent à développer leurs visibilité pour concurrencer, à la marge, les grandes écuries présidentielles.
La « Primaire des Français » déclare essayer de remettre en cause le monopole des partis dans la désignation des candidats (c’est aujourd’hui leur principale sinon leur unique fonction) et de renouveler la classe politique en faisant émerger des citoyens « normaux ». L’ambition est sans aucun doute louable et il ne faut pas négliger l’influence des nouveaux médias numériques et des réseaux sociaux. Il est cependant nécessaire de noter les obstacles auxquels cette initiative va être confrontée :
– la difficulté, d’une part, de déterminer, une ligne commune minimale pour être audible et, d’autre part, de revendiquer la fonction tribunicienne qui, longtemps occupée par le PC, est aujourd’hui exercée par le FN ;
– la sorte de schizophrénie des Français qui, d’un côté, déclarent ne plus faire plus confiance à la droite et la gauche pour gouverner et, de l’autre, acceptent de se classer selon ce clivage ;
– le coût extrêmement élevé non seulement financier mais aussi humain d’une campagne politique, en particulier présidentielle. Ce qui fait la force des partis établis, c’est leur personnel professionnel (élus et collaborateurs d’élus) qui peuvent se consacrer entièrement aux opérations électorales.
France Renaissance. Un courant en dehors des grands partis (Parti socialiste, Les Républicains, Front National), peut-il selon vous à faire émerger une figure présidentiable ?
Guillaume Bernard.En politique, tout est possible. Mais les prédictions sont toujours très périlleuses… Tout le problème est de savoir quel espace politique cet éventuel candidat pourrait chercher à incarner. Or, il me semble qu’il n’y a en qu’un qui ne soit pas encore représenté par un candidat déclaré ou vraisemblable (tous les autres étant déjà ou potentiellement occupés) : c’est celui fait le pont entre LR et le FN. S’il doit y avoir une surprise, c’est sans doute, de là, dans ce qui a pu être appelé la droite « hors les murs », qu’elle peut potentiellement venir.
Sources :
- Crise au Pouvoir, Le HuffPost, Geoffroy Clavel, 16.04.2016.
- Comment les primaires se sont installées dans la vie politique française, Le Monde, 14.04.2016.
[1] Olivier Duhamel, dans sa note pour Terra Nova « Pour une primaire à la Française », 2008.