Où va l’Arabie Saoudite : le Parlement français s’interroge
L’Assemblée Nationale a abrité, le 10 mars 2016, un colloque à l’instigation de l’Académie de Géopolitique de Paris, destiné à faire état de la position actuelle de l’Arabie Saoudite sur la scène internationale. « Le sujet d’aujourd’hui est loin d’être neutre en termes de passions. Il est légitime que nous ayons une approche dépassionné du sujet », introduit Jacques Myard (député des Yvelines). Le maire de Maisons-Laffitte, prônant la liberté des états à disposer d’eux-mêmes soulève la problématique : « Si nous ne sommes pas là pour changer ce qu’il se passe en ces pays, nous devons pourtant poser certaines questions à l’égard de l’Arabie Saoudite ».
L’Arabie Saoudite et ses voisins
Réduire les relations de l’Arabie Saoudite avec ses voisins au seul conflit chiite / sunnite est insuffisant, souligne d’emblée Ali Rastbeen. Selon le Président de l’Académie de Géopolitique de Paris, il est nécessaire d’agir dans le respect mutuel, d’encourager le rétablissement des liens entre les différents pays arabes dont la part dans la communauté internationale se fait croissante. On notera que l’intervention du chercheur, qui concernait les pays arabes, s’est cependant focalisée sur les rapports entre l’Arabie Saoudite et l’Iran, à l’aune des accords sur le nucléaire …
Un bé mol semble faire consensus parmi les conférenciers : la politique interventionniste choisie par l’Arabie Saoudite dans les conflits internationaux. Mohamed Troudi (enseignant-chercheur) rappelle à cet égard la politique vengeresse menée par la politique saoudienne en Irak. Son soutien aux groupes radicaux islamistes confirme sa posture ambigüe à l’échelle internationale ; une « menace islamiste » qui tirerait sa légitimité de sa présence en Arabie Saoudite…
Il en va de même pour l’alliance qu’elle envisage de mener auprès de la Turquie, regardée d’un œil contestataire par certains acteurs du Proche-Orient. Sorte d’alliance « anti chiite » dans la région, l’Arabie envisage de mettre à profit son interlocuteur turc, mettant à profit sa qualité de membre de l’OTAN, son importante démographie et bientôt, peut-être, son appartenance à l’Union Européenne. Cependant, le chercheur souligne la durée limitée qu’une telle attitude politique ambigüe de la part de l’Arabie Saoudite sur la scène internationale : « on peut s’attendre à une escalade du conflit », confie-t-il.
Une idéologie wahhabite au service d’une « monarchie absolue »
Forme dominante de l’islam sunnite, le wahhabisme est la doctrine religieuse en vigueur en Arabie Saoudite. Son caractère rigoriste et sa nature salafiste incitent l’Occident à la méfiance vis-à-vis de ce courant de pensée, liant pouvoir politique et doctrine religieuse « fondamentaliste ». Pour autant, Karim Ifrak (islamologue, historien, membre du CNRS) appelle à ne « pas faire d’amalgames » entre terrorisme et wahhabisme. « Le wahhabisme est amalgamé aux terroristes, comme une espèce de monstre. C’est vrai et pas vrai…parce que c’est compliqué », justifie le chercheur. Méconnaissance de l’Occident, peu familière du rigorisme wahhabite et du rejet dont il est l’objet à l’échelle de certains musulmans se sentant « stigmatisés » par une vision puriste de l’Islam à laquelle ils n’adhèrent pas : voilà les raisons de ne pas associer terrorisme et wahhabisme. Au fondement du wahhabisme, point de volonté hégémonique ; le souhait de régner sur le monde arabo-musulman n’aurait été qu’une forme actuelle de cette doctrine. « Le wahhabisme a plusieurs facettes : il y a le wahhabisme comme courant spirituel et le wahhabisme comme courant politique et violent », conclura Ifrak.
Les droits de l’Homme en Arabie Saoudite
« Il est impossible de parler de droit de l’homme au modèle saoudien », déclare d’entrée de jeu Patricia Lalonde, chercheur associé à l’IPSE. Répression des opposants politiques[1], restriction de la liberté d’expression (le cas de Raif Badawi est exposé) et proscription de toute religion alternative à l’islam : telles sont, selon le chercheur, les conditions des « droits de l’Homme » en Arabie Saoudite. Insistant notamment sur les répressions menées à l’encontre des immigrés, Patricia Lalonde a soutenu que 2.9 millions d’entre eux – sur les 10 millions que compte le royaume, étaient tenus à l’état d’esclavage, soumis à la loi du kafala[2]. Elle a également tenu à souligner le statut controversé de la femme dans le royaume. Seul pays dans lequel la femme n’a pas le droit de conduire, l’Arabie Saoudite est également un exemple de la discrimination féminine à l’embauche. Preuve en est : avec 60% de diplômées, seul 5% des femmes sont embauchées. Et si la charte de la CEDAW (Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes) a bien été ratifiée par l’Arabie Saoudite, la monarchie du Golfe a indiqué ne pas y prêter allégeance en cas de dérogation éventuelle à la loi islamique.
Conclusion
Alors qu’il est désormais possible de faire appel à l’Arabie Saoudite, coupable de près de 2200 exécutions en 20 ans, à la présidence de la Commission des Droits de l’Homme[3], une interrogation sur la place tenue par la monarchie à l’échelle internationale s’impose. Certes, « dépassionner le discours » (Jacques Myard) est nécessaire pour comprendre les tenants et les aboutissants à l’échelle géostratégique de cet acteur majeur du Proche-Orient. Pour autant, envisager l’ambiguïté de son rôle à l’aune du simple constat, à l’image de la majorité des intervenants, ne peut constituer une réponse raisonnable. Au même titre que pour le cas turc ou israélien, on s’étonnera de l’absence de prises de mesure des gouvernements occidentaux à l’égard de l’Arabie Saoudite : reconnaissant la posture ambivalente de ces assistants avérés aux groupes terroristes, les commissions internationales ne semblent pourtant pas prêtes à freiner leurs initiatives de soutien…
Nb. Cette note ne constitue qu’une synthèse de la première partie du colloque mené à l’Assemblée Nationale le 10 mars 2016.
[1]Parmi les dernières décapitations en Arabie Saoudite, beaucoup comportent une nature politique : avec 146 exécutions en 2015, contre 90 en 2014, on en compte 47 depuis le début 2016. Entre 1985 et 2015 : ce sont près de 2 200 exécutions, dont un millier d’étrangers, beaucoup de jeunes et d’handicapés mentaux.
[2] Kafala : autorité d’un parrain nécessaire pour obtenir le droit de travailler.
[3] Sa nomination à la présidence à l’issue de la 30e session de la Commission des Droits de l’Homme le 21 septembre 2015 avait d’ailleurs soulevé la polémique.