Turquie : où en est-on ?
Nous sommes loin de François I et Soliman le Magnifique, les hommes sont passés, les nations ont demeuré. Pays charnière, à la porte de l’Europe, stratégiquement important, politiquement controversé, économiquement en difficulté : telles sont les caractéristiques de la Turquie. Depuis 2005, des négociations sont officiellement en cours avec la Turquie ayant pour objet son adhésion à l’Union Européenne. La longueur des négociations s’explique d’une part par le nombre de négociants qui constituent autant de point de vue divergents et d’autre part par la position de la Turquie.
La Turquie a été et est encore aujourd’hui la cible d’attentats terroristes. Sa position en bordure extérieure de l’Europe en fait une cible. Cet aspect sécuritaire pose des questions quant à son adhésion à l’Union Européenne et par conséquent à l’espace Schengen, impliquant une libre circulation au sein de l’Europe occidentale du terrorisme. Les négociations traînent également du fait de l’attitude des personnels politiques turcs : manque de coopération durant la crise migratoire que connaît encore aujourd’hui l’Europe, la liberté d’expression en net recul dans un pays qui se dit depuis 1923 une république démocratique.
Mais peut-on seulement critiquer la démocratie turque quand on constate le manque d’écoute de nos propres dirigeants ? Les sondages sont univoques lorsqu’ils font part des réticences des français et des européens à l’adhésion de la Turquie à l’Union Européenne. Pour exemple, le 23 Janvier 2014, l’institut de sondage « Opinion publique » donne le chiffre de 83%[1] des Français opposés à l’adhésion de la Turquie à l’Union Européenne. Grand bien leur en fasse : leur réticence est établie depuis 2005, les négociations se poursuivent depuis cette date.
Les relations entre la Turquie et l’Union Européenne sont donc loin d’être au beau fixe. La Turquie s’est également mise à dos la Russie, après la destruction d’un appareil Russe le 24 novembre 2015[2]. Les relations entre l’Union Européenne et plus précisément la France avec la Russie sont en recul du fait des sanctions économiques imposées par l’Europe et d’une diplomatie volontairement balbutiante. Ainsi l’Europe a t elle assez de différents, à ses dépens, avec la Russie pour ne pas s’en attirer d’autres par l’intermédiaire de la Turquie ?
Écartons nous toutefois un instant de la vision européiste pour revenir vers un pragmatisme plus français. Les relations économiques et commerciales de la France avec la Turquie viennent éclaircir le paysage, preuve en est d’une balance commerciale traditionnellement excédentaire, malgré un solde légèrement négatif en 2014 pour la 2ème fois au cours de la dernière décennie[3]. La bonne tenue de ces relations commerciales ne sera toutefois possible que tant que la France restera compétitive au regard de la Turquie, c’est a dire tant que celle ci ne bénéficiera pas des taux uniques réservés aux membres de l’Union Européenne. L’entrée de la Turquie au sein de l’Union Européenne porterait un coup a l’économie française qui perdrait son caractère concurrentiel et donc ses parts du marché turc.
L’animosité entre les peuples turcs et français fait l’objet de plusieurs facteurs : un refus par la France de l’adhésion de la Turquie à l’Union Européenne sacralisé par le rejet du traité constitutionnel européen en 2005. Ce n’est pas pour le simple refus que la Turquie tient rigueur à la France et lui garde rancune : les arguments avancés par la France pour refuser l’adhésion de la Turquie à l’Union Européenne étaient des arguments de fond (incompatibilité culturelle entre l’islam turque dont le partie politique au pouvoir est l’illustration et l’héritage culturelle de l’Europe, façonné par la Chrétienté) là ou les autres nations faisaient valoir leur réticence à travers des arguments politiques géographiques économiques etc.[4]
La proposition de loi de 2011, pénalisant la négation du génocide arménien qui s’est déroulé en Turquie en 1915-1916 a été perçue comme un affront de plus par la Turquie. Le 28 Février 2012, le Conseil Constitutionnel invalidera la loi sur le génocide estimant que « le principe de précision et de clarté de la loi » n’a pas été respecté. Le mal était déjà fait.
Ces relations tendues ont fini par « décourager » la Turquie qui avait entrepris une série de réformes en vue d’intégrer l’Union Européenne. Les réformes vont s’essouffler et la Turquie va se tourner vers d’autres partenaires commerciaux tels que la Chine. L’arrivée de François Hollande au pouvoir marque une phase de « détente » avec le pouvoir turc, qui garde une vision malgré tout corrosive de la France. L’Union Européenne favorise la diplomatie des institutions plutôt que la diplomatie des hommes. dans un rapport manichéen, à défaut de se faire phagocyter par l’Europe la Turquie s’en éloigne pour se tourner vers les marchés asiatiques résultat d’une diplomatie européenne autoritaire refusant d’envisager toute issue tant que celle ci ne se solde pas par l’intégration de la Turquie en tant que 29ème état membre.
A l’échelle interne, la Turquie est morcelée, divisée entre plusieurs ethnies et composée de mouvances politiques multiples. Les Kurdes principalement situés à l’est du pays, font l’objet d’un comportement hostile de la part du gouvernement. Ces divisions, le parti du premier ministre Erdogan, l’AKP, cherche à les résorber privilégiant dans sa politique les moyens plutôt que la fin.[5]
Plusieurs négociations ont eu lieu entre le gouvernement turc et les minorités kurdes. Il était ainsi question que les Kurdes soient acceptés en échange de leur assimilation à l’ethnie sunnite majoritaire. Cette acceptation se traduirait par un parti politique propre, et leur assimilation par une soumission et une mise au service de la nation turque. Ces négociations ne répondent, hélas, pas aux ambitions Kurdes. Il n’était pas envisageable que le mouvement kurde se soumette en échange d’une simple reconnaissance des ses droits linguistiques.
Dans son ambition d’aller vers un ordre nouveau, « une Turquie nouvelle » l’AKP et la tradition islamo-conservatrice qu’il représente, illustrent une dérive autoritaire du gouvernement imposant son propre modèle de société nouvelle, écartant de facto tout réel projet de société composant avec les kurdes.
Les non nationaux sont accusés de traîtrise et de menace pour la sécurité nationale. Comment s’étonner alors de la fragmentation, des violences et de la radicalisation globale que connaît le pays ?
Le constat est sans appel, le caractère démocratique des institutions du pays a disparu. La volonté du « vivre ensemble » est toujours présente mais minoritaire. Aujourd’hui c’est la guerre civile et un climat de tension qui prévaut. La Turquie n’est pas seule à mener cette politique vis-à-vis des populations kurdes qui se situent à la frontière avec l’Iran. En Iran également, le Kurdistan représente un opposant politique et une minorité sociologique distinct du reste du pays.
Une solution pacifique est elle envisageable ? Le pays Basque ainsi que la Catalogne sont indépendants sociologiquement sans pour autant être condamnés à la violence (malgré les exactions de l’ETA). La géopolitique au Moyen-Orient présente à tout le moins un aspect bien différent. La preuve en est de la situation de conflit, de la complexité ethnique et des interventions occidentales souvent malvenues qui sont le quotidien de cette région depuis la fin du XIX° siècle. L’escalade vers la radicalisation est simple et découle d’une vérité sociologique : si l’état se radicalise, le mouvement kurde se radicalise. Lorsque l’état qualifie un individu de traître et que la presse relaie l’information incitant au meurtre et la violence face à une catégorie de la population, alors les personnes visées sont amenées à se radicaliser à leur tour. Telle est la réalité démocratique que propose l’AKP et le premier ministre Erdogan à la Turquie.
[1] Sondage du 23 Janvier 2014 réalisé par l’institut « Opinion Publique »
[2] France24 : Un avion russe abattue par la Turquie à la frontière syrienne, Poutine furieux. 24/11/2015.
[3] France diplomatie : la France et la Turquie, relations économiques et commerciales, MAJ 15/12/15.
[4] Perceptions turques de la France, Michel Alfandari, 16/01/2013
[5] Turquie : la fin d’une histoire de plus d’un siècle, Hamit Bozarslan, 02/02/2016