France Renaissance. L’association « Nos mains ne tueront pas » est une antenne de l’association « Choisir la vie ». Cette dernière a été créée en réaction à la loi Veil de 1975 pour venir en aide aux femmes en situation de détresse et pour sauver des enfants à naître. Pourquoi avoir décidé d’ouvrir maintenant cette nouvelle antenne pour l’écoute du personnel médical et paramédical ?

Odile Guinnepain. Depuis quelques temps déjà, je me demande souvent pourquoi nous ne voyons pas de soignants aux tribunes de la Marche pour la Vie ou dans les médias, pour dénoncer le scandale de la culture de mort qui leur est imposée dans les soins. On a entendu réagir les sages-femmes il y a quelques années puis les pharmaciens plus récemment, notamment à propos de l’objection de conscience. Mais depuis 1975, il n’y a jamais eu de mouvement majeur de soignants unis qui se soit manifesté contre l’instrumentalisation de leurs professions face à l’IVG et maintenant face à la dérive de la sédation terminale euthanasique. Pourtant, il existe des groupes ou association de soignants qui se réunissent pour réfléchir à un exercice éthique de leur profession et c’est une très bonne chose, mais il faudrait qu’ils soient plus connus. D’autre part, je pense que nous devons aller plus loin que cela aujourd’hui.

Pour ma part, un premier déclic s’est fait en 1994, lors de mon premier stage en école d’infirmière où j’ai été témoin malgré moi d’une IMG [ndlr. interruption médicale de grossesse]. J’avais 19 ans, j’étais en stage en maternité, c’était mon tout premier stage. J’étais très heureuse de le faire en maternité car j’aimais beaucoup m’occuper des bébés. Or, ma première expérience de « soins » à un bébé, fut celle de porter le corps d’un bébé mort par IMG à un personnel biologiste d’un laboratoire. Mon premier lien professionnel avec un bébé ne fut pas celui de la vie mais celui de la mort. Malgré le traumatisme, j’ai fait le choix, à ce moment-là, de m’engager dans mon métier à respecter toute vie humaine. Un autre déclic plus récent, s’est fait en 2015 au moment du débat de la loi Claeys/Léonetti du 2 février 2016 sur la fin de vie. Cette loi «créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie » propose, dans son article 3, sous certaines conditions, l’accès à une sédation terminale jusqu’au décès. Avec mon expérience, j’ai tout de suite compris que cet article allait rapidement entraîner des dérives vers des sédations euthanasiques. Or, il n’y a pas la possibilité d’invoquer l’objection de conscience pour refuser de participer à ces actes de sédation euthanasique car, « officiellement » ce n’est pas de l’euthanasie. C’est tout le « génie » de cet article !

Témoin malgré moi de cette dérive par des soignants (mais aussi par un prêtre) qui m’en parlent ouvertement depuis plusieurs mois maintenant, je suis allée manifester en blouse blanche à la Marche pour la vie le 22 janvier dernier afin d’exprimer mon refus de cette instrumentalisation de nos professions de santé. C’est là que nous avons décidé de créer véritablement cette nouvelle antenne.

France Renaissance. A l’heure où l’avortement est banalisé et où la question de la légalisation de l’euthanasie est d’actualité, il semble que notre société soit en demande d’un contrôle absolu de la vie, de son commencement à son achèvement. Malgré la simplification du débat sur la vie autour de la question de la dignité ou du droit à disposer de son corps, il apparait que les actes posés contre la vie ne soient pas sans conséquences. Les atteintes aux plus faibles ont-elles finalement des répercussions, comme cela été annoncé par certains, au-delà de la sphère familiale et touchent la société en général ?

Odile Guinnepain Oui, comme cela est rappelé régulièrement, l’atteinte des plus faibles a des répercussions sur toute la sphère familiale mais aussi sur les professionnels de santé et du secteur social qui se font complices de cela ainsi que sur la société tout entière qui baigne constamment dans cette culture de mort, incapable qu’elle est aujourd’hui d’interroger sa conscience. Comme le prouvent les témoignages nombreux aujourd’hui et les études menées sur le syndrome post-abortif, les séquelles psychologiques de l’IVG chez la femme ne sont plus à démontrer. De même que le syndrome du survivant qui révèle les répercussions de l’IVG sur les fratries des enfants morts par l’avortement.

Je pense aussi que cela se répercute dans l’inconscient de toute la société dans le sens où la valeur intrinsèque et inaliénable de la vie humaine n’étant plus évidente, on ne la juge valable et digne d’existence qu’en fonction de certains critères. On le voit évidemment par l’élimination anténatale des enfants qui s’annoncent avec un handicap ou une malformation mais pas seulement. On le voit aussi par les mentalités d’une majorité de personnes (dont beaucoup de chrétiens) qui trouvent indigne de laisser vivre des personnes âgées ou des personnes malades ou même encore des enfants devenues grabataires et totalement dépendants en raison de la maladie, du vieillissement ou du handicap. Parce que la valeur sacrée de toute vie humaine n’est plus respectée, et bien on ne regarde plus les personnes comme des personnes humaines, mais on les résume à « un problème » qui les définirait. Et si on ne peut pas résoudre ce problème, alors on l’élimine !

Par ailleurs, pour les soignants, j’ai cette conviction intime que cela se répercute dans notre manière de soigner et donc dans la qualité des soins. En effet, comment peut-on soigner en vérité, avec réelle compassion et compétence, une personne gravement affaiblie par la maladie, devenue dépendante ou grabataire en raison d’un handicap, d’une pathologie dégénérative, de la vieillesse etc. dont on ne croit pas en la valeur et en la beauté de sa vie malgré tout ? Ou si on ne croit pas que chaque vie humaine a toute sa valeur de sa conception à sa fin naturelle malgré toutes ces faiblesses ?

France Renaissance. Observez-vous une nouvelle prise de conscience de la part du personnel médical et paramédical ?

Odile Guinnepain Les personnels de santé chrétiens ont pris conscience depuis longtemps de ces graves dérives. D’ailleurs, un certain nombre ont beaucoup de difficultés à exercer leur profession en conscience, voire quittent la profession. Il est dommage qu’on en entende si peu parler. Mais on observe aujourd’hui une prise de conscience de certains personnels médicaux ou paramédicaux non chrétiens. Ce qui est intéressant c’est la forme que prend leur prise de conscience. Elle n’est pas « idéologique » mais elle vient du réel.

Dans ce que j’observe, elle se fait de deux manières. La première c’est par ce lien avec le réel. Ce ne sont pas par des réflexions éthiques ou philosophiques qu’ils s’interrogent (beaucoup de soignants n’en sont pas à ce stade-là pour des raisons culturelles et intellectuelle), mais c’est à travers la réalité de leurs actes. Beaucoup ont le souhait de bien soigner et ils sont témoins ou acteurs, malgré eux d’actes dont ils mesurent l’aspect désordonné ou abusif : c’est l’exemple de cette aide-soignante qui nous a contacté récemment pour nous dire, qu’elle avait réalisé l’horreur de l’avortement parce qu’elle avait vu de ses yeux les petits corps humains déchiquetés et démembrés après les IVG. C’est aussi le témoignage de ces infirmières qui s’interrogent sur la pose quasi-systématique de sédations létales pour des personnes âgées atteintes de maladie d’Alzheimer à des stades très avancées, alors qu’elles sont asymptomatiques. Les soignants se disent-là que quelque chose n’est pas normal. La seconde c’est par la rencontre de soignants plus expérimentés ou mieux formés qu’eux sur le plan philosophique, ou dont la façon rigoureuse et pleinement professionnelle de soigner en cherchant sans cesse la vérité et le bien commun, les pousse dans leurs retranchements ; en conséquence, ils s’interrogent sur des aspects éthiques de leur profession qui les ouvre à un autre regard sur la personne humaine.

Et puis il y aussi parmi tous ces soignants ceux qui ont fait l’expérience personnelle ou professionnelle de l’avortement ou de l’euthanasie déguisée et qui ne s’en remettent pas…

France Renaissance. Quel est le profil des appelants ? Cette prise de conscience est-elle une affaire de religion ou est-elle plus vaste ?

Odile Guinnepain C’est intéressant votre question car, pour le moment, la majorité des quelques soignants qui ont contacté l’antenne, n’ont absolument pas évoqué leur lien ou un quelconque lien avec leur foi ou la religion. Ils ont appelé pour exprimer principalement un mal-être humain et psychologique face à cette problématique de l’avortement ou de la dérive de la sédation euthanasique et, autour de ces réalités, du problème de leur objection de conscience. Tous ceux qui ont appelés ont pris la décision de quitter la profession en raison de leur refus de continuer à se faire acteurs, par le détournement de leurs soins, de cette culture de mort. Ceci démontre bien, contrairement à ce que veulent nous faire croire les mass-médias, que la souffrance de l’IVG ou du non-respect de la vie en général, n’est pas le seul problème de la religion mais bien un problème en lien avec la loi naturelle.

France Renaissance. Le personnel médical et paramédical est-il contraint de poser des actes contre la vie ? Quelle est la nature de ces contraintes ? Une évolution est-elle perceptible depuis ces dernières années ? Si oui, quelle est-elle ?

Odile Guinnepain Le personnel médical et paramédical n’est jamais totalement contraint de poser des actes contre la vie. Cependant, la liberté de les refuser est devenue extrêmement difficile aujourd’hui. L’une des raisons qui explique cela est le problème de l’objection de conscience. Dès la première loi Veil en 1975, les soignants avaient le droit d’invoquer leur objection de conscience afin d’éviter de pratiquer des actes d’avortement. Le problème est que ce droit à l’objection de conscience des soignants n’est pas un droit fondamental, il est basé sur les droits de la personne, il s’agit en fait d’un droit théorique. De plus, il est reconnu aux personnes physiques et pas aux personnes morales. De fait, ces dernières années en France, une série de nouveaux droits sur la santé reproductive, sur l’accès au changement de sexe, sur la contraception d’urgence pour les mineures et plus récemment sur le droit fondamental à l’avortement, sur la sédation terminale qui dérive vers des sédations euthanasiques, et sur le délit d’entrave numérique à l’IVG, entraînent une tolérance illimitée pour tous ces actes. En conséquence, les personnes qui s’y opposent pour des raisons éthiques, deviennent celles qui sont intolérantes et sont « fustigées » voire condamnées pour cela. Une profession directement concernée par cela est celle des pharmaciens. Ceux-ci n’ont pas droit à l’objection de conscience et ne peuvent donc pas refuser la vente ou la distribution de produits contraceptifs s’ils veulent garder leur poste.

On peut donc dire que les personnels de santé ont des contraintes pour poser des actes contre la vie en raison de la menace de licenciements ou autres pressions psychologiques et morales qu’ils subissent s’ils s’y opposent. Sans compter qu’aujourd’hui, les soignants ne sont pas seulement victimes de ces pressions, ils sont également condamnables, notamment s’ils interviennent de façon jugées « trop invasives » pour aider une femme enceinte à garder son bébé. J’oserai dire que parfois c’est un véritable « martyr » pour les soignants que d’exercer leur métier en conscience, dans le respect de toute vie humaine.

L’évolution depuis ces dernières années est plutôt négative sur le plan juridique dans le sens ou les portes du droit à l’objection de conscience se referment de plus en plus. Par contre, ce qui est positif, c’est qu’il y a une jeune génération que se refuse à faire le lit de la culture de mort et qui est prête à se battre ouvertement pour cela. Je crois qu’aujourd’hui, ces professionnels de santé et étudiants doivent montrer publiquement qu’ils sont là, et qu’ils ne se laisseront pas instrumentaliser. Espérons qu’à la Marche pour la vie du 21 janvier 2018, ils seront en grand nombre et sauront se manifester.

 

Nb. L’association « Nos mains ne tueront pas » dispense des formations. Les 27 et 28 mai, elle propose un week-end de formation ancré dans la pratique et dans l’éthique, spécialement destiné aux étudiants et professionnels de santé !

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aloysia biessy