Dans son rapport de mars 2017, l’institut Montaigne offre au lecteur un pamphlet européiste. Convaincu que l’idéal européen des pères fondateurs anime encore ceux qui participent à la construction permanente de l’Union européenne (UE), le laboratoire d’idées aspire à une restauration de la confiance « des citoyens européens ». Pour les partisans de l’UE, « L’Europe est née de la volonté partagée de quelques hommes d’Etat visionnaires profondément imprégnés de leurs cultures nationales mais aussi conscients de ce qui, en tant qu’Européens, leur faisait partager une communauté de destin : la nécessité de rompre avec des siècles de conflits, tout particulièrement après les deux guerres mondiales du XXe siècle. »

Malgré cet enthousiasme, une montée de scepticisme se manifeste partout en Europe, au point de remettre en question la poursuite de la construction européenne. Le Brexit illustre cette défiance croissante : « La contestation interne a connu son paroxysme avec le vote britannique en d’une sortie du Royaume-Uni de l’UE, suivi du prochain déclenchement de l’article 50 du traité sur l’Union européenne (TUE). » L’Union européenne est sévèrement remise en question et pourrait imploser si ses dirigeants ne parviennent pas à faire apparaître une politique fédératrice. Les Etats-Unis regardent avec attention les institutions européennes vacillantes et Donald Trump se « questionne [sur] les fondements du projet européen et prédit ou semble en souhaiter la fin à brève échéance. Ainsi, lors de sa première interview à des médias européens, il a indiqué qu’il faisait le pari d’une dislocation de l’UE pendant son mandat. »

Pour arrêter la dissolution de l’UE, les 27 pays membres adoptent une posture autoritaires et implacables en affirmant, lors de la réunion du Conseil européen de Bratislava le 16 septembre 2016, au Royaume-Uni : « pas d’accès au marché unique sans contribution au budget européen, pas de libre mouvement des capitaux, des services et des biens sans libre mouvement des travailleurs ». Le message envoyé aux dissidents est clair : la souveraineté a un prix. Il n’est pas possible de vouloir s’affranchir du système de l’UE tout en bénéficiant de ses avantages. La sanction pour un Etat rebelle est dès lors l’isolationnisme économique.

  1. Une Union européenne qui ne convainc plus 

Malgré le passage à l’euro et l’élargissement à 28 pays, l’Union européenne est en crise d’un point de vue démocratique, économique et migratoire. En 2005, les Français et les Néerlandais ont rejeté par référendum l’idée d’un traité constitutionnel. Malgré ce refus, « les gouvernements ont repris une grande partie des avancées institutionnelles du traité constitutionnel dans le traité de Lisbonne ». Ce passage en force laisse craindre que l’Union européenne veuille élargir ses compétences « n’acceptant pas de pause dans le processus devant mener à une « union sans cesse plus étroite » ». D’un point de vue économique, les promesses faites par l’adoption de l’euro ne se sont pas réalisées : « l’UE s’était donné en 2000 l’objectif d’être en 2010 « l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde, capable d’une croissance économique durable accompagnée d’une amélioration quantitative et qualitative de l’emploi et d’une grande cohésion sociale ».

Dix-sept ans après l’adoption de l’euro, les crises économiques, à l’instar de celle connue par la Grèce, ont ébranlées les fondations de l’UE. La paupérisation des pays du sud de l’UE tel l’Italie, l’Espagne et le Portugal, laisse de profondes marques de défiance à l’encontre de l’Union. La crise migratoire a également divisé les Etats membres confrontés à la capacité des institutions de l’UE à apporter des solutions concrètes. Dès lors, « la plupart des pays européens ont décidé de fermer « temporairement » leurs frontières, remettant en cause la libre circulation de l’espace Schengen ».

Malgré une perplexité de plus en plus marquée à l’encontre des institutions, le rapport de l’Institut Montaigne se veut plus optimiste. « La défiance des citoyens à l’égard de leurs institutions n’est pas un problème spécifiquement européen. L’Europe est la victime collatérale et le bouc émissaire d’un problème plus large. » Pour faire face à de nouvelles remise en cause, le rapport fait de l’Union européenne la protectrice des droits et libertés fondamentaux notamment lorsqu’il y a des carences au niveau national. Plus encore, il avalise l’idée selon laquelle l’Europe est la gardienne de la paix. Selon l’institut Montaigne, une dissolution de l’UE exposerait les Etats membres non seulement à un cataclysme économique mais également à de potentielles guerres.

  1. Une nécessaire réconciliation avec le modèle européen.

Pour réconcilier les lecteurs avec l’UE, le rapport insiste sur les « acquis construits depuis cinquante ans ». En guise d’illustration, la construction d’un espace commun sans frontière où le « marché intérieur a bénéficié aux consommateurs et aux travailleurs ». L’UE est perçue comme un espace de solidarité qui se traduit notamment grâce à la politique agricole commune (PAC). Plus encore, l’Union européenne est selon le rapport, un espace de prospérité puisque qu’« entre 1990 et 2015 le produit intérieur brut (PIB) par habitant a évolué plus rapidement dans l’UE ( +159 %) qu’aux Etats-Unis (+134 %) ».

Parce qu’aujourd’hui, « la perspective d’une dislocation de l’UE est crédible », le rapport invite les chefs d’Etat européens à « réaffirmer les valeurs qui les rassemblent ». Ces fondements retrouvés, les Etats membres devront faire face à de nouvelles problématiques communes, telles que la transition climatique et numérique ou la montée en puissance de pays comme la Chine, l’Inde, le Brésil, la Turquie et la Russie. L’UE doit également être capable d’apporter une réponse concrète en matière de sécurité notamment au Proche-Orient et en Afrique.

Face à ces enjeux, le rapport recommande une « réactualisation des principes fondateurs de la communauté européenne est indispensable ». Parmi ces principes, c’est celui de la délégation de souveraineté qui est particulièrement visé. Alors que certains y voient un « décaissement » des pouvoirs régaliens, le rapport parle de « mise en commun d’une souveraineté, déléguée pratiquement à une institution européenne, et subordonnée à un objectif commun ». Cette notion en appelle une autre, celle du principe de subsidiarité auquel sont attachés les Etats. Plus encore, il appelle une redéfinition des contours de l’Union européenne : « les compétences partagées nourrissent l’incompréhension des populations, les différents responsables se renvoyant la responsabilité des échecs et s’attribuant les succès. Cette clarification des compétences pourrait notamment s’accompagner d’un renoncement à la perspective d’accroissement continu des compétences de l’UE ».

D’un point de vue économique, l’euro est, selon le rapport, l’élément fédérateur qui permet la mise en œuvre d’une politique économique viable : « Dix-neuf Etats ont choisi de partager une monnaie qui est une réussite. » « Il n’est pas possible de partager la même monnaie sans une coordination des politiques budgétaires, des politiques fiscales, des politiques fiscales. Ces politiques forment un tout et doivent être articulées avec la politique monétaire ». Pour continuer de rendre attractive cette perte de pouvoir régalien l’Union économique et monétaire (UEM), est figurée comme « un projet politique ambitieux et unique, celui d’Etats-nations souverains qui, sans se fondre dans une construction fédérale, se lient par de fortes solidarités et responsabilités réciproques ». La crainte qu’inspire le changement est utilisée pour empêcher l’effondrement du système : « le retour au franc entraînerait une dépréciation de la monnaie compte tenu du déficit commercial cumulé. Elle serait de l’ordre de 15% […] soit une fracture supplémentaire de 50 milliards d’euros par an pour les ménages et les entreprises françaises ». L’institut Montaigne veut rassurer les eurosceptiques, et les partisans d’une Europe des nations : « compléter l’UEM ne signifie pas faire un saut fédéraliste ».

Par souci d’efficacité, le rapport propose plusieurs réformes pour dynamiser l’UEM. Parmi les plus symboliques, l’Institut invite à « définir clairement chaque année une politique économique et budgétaire globale de la zone euro […] ; instaurer un gouvernement économique de la zone euro pour animer une mise en œuvre coopérative des politiques économiques […] ; mieux intégrer dans le droit national de chaque Etat membres les règles budgétaires de la zone euros […] ».

L’intérêt européen doit primer à travers la conclusion de nombreux accords internationaux tel que Transatlantic trade and investment pertnership (TTIP) et le Comprehensive economic and trade agreement (CETA). Portant ces deux traités ont suscités une vive réaction de la part des ressortissants des Etats membres. L’Institut l’explique par une méconnaissance des négociations et du contenu des traités et propose d’y remédier en renforçant « la transparence des négociations commerciales en associant mieux le Parlement européen et les parlements nationaux et en améliorant l’information de la société civile ». Conscient que la concurrence frappe le marché unique, enjoint en outre, à une défense active des intérêts européens en mettant « effectivement en œuvre un principe de réciprocité (discipline renforcée sur le droit de la concurrence dans les accords de libre-échange ; ouverture conditionnelle des marchés publics) ».

La crainte des « citoyens européens » pour leur sécurité n’a pas échappé au rapport et y voit l’occasion de « renforcer la construction européenne en lançant une Union pour la sécurité ». Pour cela, elle prône une coopération encore plus étroite entre la France et l’Allemagne : « assurer la mise en œuvre rapide de la nouvelle Stratégie globale de sécurité de l’UE. Décliner cette Stratégie globale sur chacun des sujets concernés dans une feuille de route franco-allemande, qui pourra servir de base à un futur Livre blanc de l’UE pour sa politique étrangère et pour sa politique de défense ».

Enfin, le rapport insiste sur la nécessité d’une diplomatie européenne d‘envergure capable d’influencer toutes les zones du monde. Pour cela, « chaque Etat doit se sentir investi d’un destin et d’une responsabilité européenne qui dépasse ses frontières géographiques nationales ».

NB : cette note propose une synthèse du rapport de l’Institut Montaigne – L’Europe dont nous avons besoin, mars 2017.

aloysia biessy