Avant-propos

Dans le cadre de son étude sur la crise politique actuelle, l’Institut Diderot souhaite s’interroger sur les origines des difficultés rencontrées par le Gouvernement. La montée du Front National, qui attire de plus en plus de jeunes et de nombreuses classes moyennes, doit selon Dominique Lecourt (Président de l’Institut Diderot), faire l’objet d’une analyse. Impuissance publique ? Echec des réformes successives ? L’origine des difficultés est à rechercher dans des modifications administratives mal menées, entraînant une suractivité des textes sans profondeur. La loi de simplification administrative s’en fait la preuve, indique-t-il.

François Cornut-Gentille, député de la Haute-Marne, et auteur de « Gouvernez ! Pour un nouvel exercice du pouvoir ! » (Alma) constate la pauvreté de la réflexion législative, jugulée à la « niaiserie du vivre-ensemble » face aux violences qui traversent la France et l’immobilisme intellectuel des politiques actuels.

 

L’impuissance publique à l’origine du rejet 

 

Tenter d’améliorer la communication du Parlement n’y changera rien : le rejet du parlement est massif et dû à une impuissance publique. Absence de diagnostic des politiques face à la situation actuelle, émergence (depuis 30 ans) des « marques » : telles sont les deux causes pointées du doigt par le parlementaire, à l’origine du tourment.

Absence de diagnostic en premier lieu, face à la vision à travers laquelle les parlementaires envisagent la « crise actuelle ». Prisme suranné : pour François Cornus Gentille, ce n’est pas tant un phénomène de crise qu’un véritable « changement de monde » que vivent actuellement les Français. Changement de la cellule familiale, « crise des migrants », changement de l’environnement, mutation du domaine professionnel du fait de la « nouvelle économie »,… : tant de facteurs à l’origine d’une mutation engendrée il y a vingt ans et qui tend à s’accentuer. Pour autant, « nos élus se contentent de faire patienter les Français, de distribuer des cadeaux aux catégories qui votent », déplore le député. Les outils mis en œuvre pour pallier aux problèmes (domaine social, domaine de la sécurité,…) sont insuffisants. Envoi de porte-avions face à l’Etat Islamique, fusion de deux organismes archaïques (ANPE et Pôle Emploi) pour lutter contre le chômage : des exemples révélateurs de l’obsolescence de ces leviers d’action.

Revendications intempestives, les marques sont des phénomènes politiques permettant de porter des initiatives auprès des institutions ; permises par la prolifération des moyens de communication et une véritable révolution médiatique, elles bloqueraient, selon le député, toute initiative à l’échelle politique. Volontés issues de groupes comme les Pigeons ou les bonnets rouges, elles peuvent aussi être le fait d’individus (Bernard Henri Lévy, Nicolas Hulot). L’exemple de la création du Ministère de l’Ecologie, qui sans cesse entre en conflit avec le Ministère de l’Agriculture et de l’Industrie pour faire entendre sa voix, en est une représentation significative.

 

Des solutions lacunaires

 

Pression incessante des marques, absence de diagnostics et d’outils efficaces pour pallier à la crise : tel est le constat jeté par le député de Haute-Marne, qui pointe également du doigt l’absence de mise en place de solutions efficaces.

Le rejet des responsables politiques relève de leur absence d’implication dans le réel : coupés des réalités, ils sont perçus tels des opportunistes n’envisageant que leur réélection. Cette perception, dont le Front National aurait fait son « fonds de commerce », n’est pas –selon le député- à la source de ce rejet. En effet, c’est à l’absence de réformes que cela tient. Celle-ci n’est que le fait de la désespérance, consternation soulevée par l’absence d’aboutissement de toute nouvelle mesure. Soulever l’absence de représentativité des politiques ne constitue qu’un écueil, dans la mesure où c’est plutôt à l’absence de diversité de la classe politique (femmes, jeunes,..) que réside le problème actuel. Enfin, laisser entendre que le cœur du problème réside dans la nature de la Ve République est vain : affaiblir un exécutif jugé trop puissant pour donner plus d’importance au Parlement sans avoir reconsidérer les racines de son fonctionnement laissera demeurer les problèmes sous-jacents.

 

 

Redéfinir le rôle du Parlement

 

Redonner au Parlement sa vocation originelle d’interpellateur, au lieu de se focaliser sur sa fonction législative, permettrait de donner aux députés la parole sur les véritables fondements des problèmes. Sans langue de bois, sans concessions, les députés pourraient mettre en exergue les lacunes de l’action publique, et d’ainsi « assécher le discours de Marine le Pen [en montrant] à quel point son diagnostic est faux ». Car pour le député de la Marne, se restreindre à dénoncer l’immigration et l’Europe participe d’une politique fallacieuse et simpliste, qui n’est pas représentatif de la construction dont devraient bénéficier les institutions officielles (école,…).

Ce rôle d’interpellation doit réaffirmer la vocation du Parlement à œuvrer pour le contrôle du sens, et non un contrôle d’ordre technique. Il n’a pas pour objectif de déstabiliser le gouvernement mais de se poser en évaluateur. La mise à nu des marques qui en découlera devra nécessairement permettre l’affaiblissement de celles-ci, car elles seront contraintes de se légitimer et de prouver que leurs perspectives tendent vers l’application de l’intérêt général.

Rendre son aptitude première au Parlement permettra la réouverture du débat, la réapparition de questions relevant du service de l’intérêt général sur la scène politique et le soutien tant attendu de l’opinion. En somme, redonner à l’exécutif comme au législatif ses principes premiers permettra de nouvelles dispositions ; celle notamment, de ne pas travailler dans l’urgence, qualité que le député estime profondément injuste. « Travailler dans l’urgence aboutit à soumettre le gouvernement aux revendications de ceux qui ont les moyens de se faire entendre [et conduit] à reprendre les solutions toutes faites […] de l’ancien monde, alors que nous entrons dans un monde nouveau », indiquera-t-il en conclusion de son propos.

Retrouver les fondements de la Ve République, octroyant un pouvoir fort tant à l’exécutif qu’au législatif en garantissant leur rôle à chaque bras de pouvoir. Cette disposition seule pourra, selon François Cornut-Gentille, engendrer les mutations nécessaires du système politique actuel. Ni réformes hâtives, ni « rupture » pressante : améliorer la situation demandera du temps, des débats, des réflexions inscrites dans une mécanique institutionnelle pensée, que seule la qualité interpellative du Parlement saura mettre en œuvre.

 

 

Source. Les carnets des Dialogues du Matin, François Cornut-Gentille, député de la Haute-Marne, L’avenir du Parlement, une note de l’Institut Diderot, janvier 2016.

Nb. Cette note synthétique propose un compte-rendu sur le ton de la neutralité.

 

aloysia biessy