Quel modèle territorial pour la République ?
Etablir une synthèse des législations adoptées concernant les réformes territoriales : le 28 septembre, Gérard François Dumont introduit le colloque « Quel modèle territorial pour la République ? » (Fondation Res Publica à la Maison de la Chimie). Une véritable «frénésie législative» – une loi par an depuis 20 ans – qui s’est emparée du parlement sur les questions territoriales. Ces réformes ont-t-elles été pensées sur le temps long ? Ont-t-elles portées en regard des racines historiques des territoires ? Ont-t-elles été établies dans un souci de faire faire des économies au gouvernement ?
Une législation inutile
Entre méconnaissance et idéologie
a) Méconnaissance
Il existe de nombreux fondements historiques à l’origine de ces mesures territoriales. Par exemple, sur la question du nombre des communes en France, le professeur de la Sorbonne explique leur multiplicité par les racines géographiques françaises – pays le plus vaste de l’Union Européenne – et historiques… Car pendant longtemps, la France constituait l’un des pays les plus peuplés d’Europe. De même, les nombreuses paroisses françaises sont intégrées dans le tissu français puisque les sociétés rurales se sont organisées en fonction de cette importance du peuplement. Les départements français, créés en 1790, se sont écartés du schéma géométrique au profit de « convenances locales » (Mirabeau), des délimitations administratives plus anciennes. A l’origine, le souci de la régionalisation s’inscrivait dans une perspective de guérison des excès de la centralisation. La loi de régionalisation établie en 1982 allait ainsi mouler les 21 régions de France métropolitaines sur des modèles très anciens (celui des départements) ; leur nom revêtait un sens identitaire.
b) Idéologie
Pour Dumont, les dernières léglisations à l’égard de la territorialisation relèvent davantage d’une volonté idéologique que d’une véritable réflexion sur les dynamiques territoriales. Il s’agit de privilégier les intercommunalités de grande taille, alors même que les structures de petites tailles ont prouvé leur dynamisme. Ces législations ne se sont pas penchées sur leurs voisines européennes. La loi relative à la délimitation des régions consistait ainsi à réduire le nombre des régions de France métropolitiaine continentale. L’argument sous-jacent ? Faire diminuer l’écart entre les régions les plus peuplés et les moins peuplées, les plus vastes et les moins vastes. Or, dans les autres régions européennes (Espagne, Italie, Allemagne), les écarts (tant en termes de population que de superficie) sont minimes par rapport aux régions françaises. Le facteur de la superficie ou de la démographie de la région n’entrerait donc pas tant en corrélation avec le dynamisme d’une région.
Illustration de cette inanité législative : la loi du 1er janvier 2016, créant 14 métropoles administratives. Un schisme entre métropoles supposées dynamiques et utiles en termes de compétitivité dans la globalisation, et celles supposées sans attractivité pour le territoire a ainsi été opérée. Cette loi relève d’une méconnaissance des diversités du territoire français et de la solidarité dont doivent faire preuve les grandes villes à l’égard des autres départements moins riches, indique le professeur, pour qui les trois dernières réformes législatives relèvent de la même inutilité. De plus, la fusion des régions, loin d’être économique, va entraîner des coûts importants. En effet, fusionner deux régions engendre des coûts directs[1]. Il faut également tenir compte des coûts indirects engendrés par des « réunions chronophages […] mett[ant] en œuvre un meccano institutionnel, au lieu de se consacrer à l’essentiel […] le bien commun et l’attractivité de leur territoire[2] ». L’intervenant note également la vanité des modifications de noms de régions qui, loin de tenir compte des substrats historiques de leurs origines, leur font perdre leur attractivité – notamment à l’échelle internationale.
Enfin, le professeur souligne l’inutilité des nouveaux intitulés administratifs : les exemples internationaux sont nombreux. La fusion de plusieurs régions a déjà en Allemagne, en Suède, ou en Finlance, démontré que les individus qui y résidaient s’investissaient moins dans la vie locale dans ces régions. La cause ? Un sentiment de renonciation vis-à-vis de régions dans lesquelles ils ne se sentent plus investis, au sein desquels ils ne s’identifient plus. Les régions ayant connu des succès à l’échelle territoriale le doivent davantage à l’implication de leurs citoyens dans le quotidien de la région qu’à des éléments rationnels.
Une mauvaise mise en œuvre
Les dernières réformes territoriales n’ont pas été pensées en termes de rapports entre la Nation française et ses territoires, constate Stéphane Rozès. Aussi, l’opinion publique n’y a guère prêté un regard attentif. Réfléchies en termes de contraintes (économies d’échelle, réduction du nombre d’échelons des collectivités, traille critique des régions,…), ces législations ont été pensées à l’aune des finalités et non des raisons aux origines de la volonté de réformer.
Pour le professeur de Science-Po, le problème provient de la distinction entre la réalité des régions telle qu’elle est ressentie par les français et le réel – le quotidien vécu dans la région. Selon lui, les membres du gouvernement responsables de ces réformes ont les mêmes perspectives que les français et sont peu au fait des réalités locales de ces cellules régionales (culture locale, façon de produire,…). Aussi, il en appelle à une modification de ces territorialités suivant une restructuration par le bas et non par le haut. L’inversion des rapports de restructuration s’observe également à l’échelle économique : Stéphane Rozès rappelle à cet égard que ce sont les territoires et la société qui font l’économie et non l’inverse. C’est en prenant compte de l’attractivité d’un territoire, en gouvernant avec cohérence sur ces localités, qu’on active le dynamisme d’une région[3].
Les dernières réformes territoriales : une menace pour la République
Les menaces du régionalisme
La loi sur la territorialisation constitue une menace pour la République et ses principes (continuité, égalité et unité territoriale), s’inquiète Stéphane Rozès. La concurrence économique est menaçante en ce que l’attirance des entreprises, le désinvestissement de l’Etat et de ses services publics,…, au sein des régions minent l’égalité territoriale. De plus, cela encourage le communatarisme identitaire régional (tel le groupe des bonnets rouges). Marie-Françoise Bechtel fait la même remarque : la liaison entre territoires et République doit se mesurer à l’aune des principes d’égalité qu’elle défend (égalité des services rendus sur un territoire) et de son identité territoriale. Le problème de quelques territoires français réside en certaines de leurs revendications particularistes, jugées profondémment liées aux mouvements réactionnaires, voire parfois autoritaires et fascistes[4]. Selon la député, il existe en effet plusieurs visions du régionnalisme : l’une comporte un substrat ethnique – que « l’on retrouve dans le pétainisme » argue la député ; l’autre comporte une revendication régionale qui constitue un véritable combat mené contre la République unitaire. « Comme si la tête de l’hydre régionaliste et ethnique repoussait toujours[5] ». Négation de l’indivisibilité de la république et de l’égalité citoyenne, entrée en contradiction avec le fondement éminemment laïque de la République, du fait de l’enseignement confessionnel omniprésent au sein de la promotion des langues régionales.
L’intervention est partisane : en aucun cas le député ne prend en considération la qualité intermédiaire de la région. Cellule naturelle, cette dernière repose sur une histoire, une tradition, une géographie particulière, à l’origine de la richesse du territoire national. Face à une uniformité administrative dont les capacités se sont révélées limitées depuis plusieurs décénies, la région constitue un corps subsidiaire capable d’agir avec autonomie, tout en constituant un relai efficace auprès du pouvoir central. Sans être séparatiste, la décentralisation peut engendrer « une multitude de petites républiques fédérées sous la protection d’un chef héréditaire qui incarne l’unité[6] ».
Les finalités des lois
Les trois lois (loi de découpage régional, loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles (MAPTAM) et loi NOTRe (nouvelle organisation territoriale de la République) ont-t-elles été pensées dans l’intérêt de la République ? s’interroge la député. Quelles sont les fins de telles réformes ? L’élu a ssure : il s’agit davantage d’une législation de forme, visant à « montrer qu’on sait réformer » en France. Où les seuls arguments mis en exergue sont ceux de la taille au détriment des économies à produire.
La problématique de cette législation n’est pas tant celle du financement de plusieurs communes à un projet mais au contraire de l’amoncèlement des règles générant contrôles et procédures. Loin d’uniformiser ces dernières, les législations multiplient les schémas régionaux. Réforme sans contenu : la nouvelle distribution des compétences entre régions et départements ressemble à l’ancienne. Pour la député, seules « les intercommunalités risquent de bouleverser le paysage », dans une sorte de travail conjoint forcé qui ne peut être sain pour l’épanouissement desdites communes.
Conclusion
Stéphane Rozès souligne toute l’importance de trouver un modèle territorial adapté à une « renaissance républicaine ». A l’origine, la décentralisation visait à rapprocher le citoyen de la décision locale, estime quant à elle la député. Selon l’élue, faire de la région l’échelon terminal géré par des élus représentant le département, métropole et intercommunalité, aurait été opportun[7]. Cependant, la renaissance républicaine ne s’opérera que par l’intermédiaire d’un « mouvement de reconquête des territoires par le bas, nécessitant une compréhension de la différence entre une réalité des territoires telle qu’elle est perçue par l’Etat et le réel. Entre « l’application d’une stratégie et d’une refondation de l’Etat moderne dans une Europe des projets communs[8] ». Selon le professeur d’HEC, la réforme territoriale s’est opérée à partir de rapports de force politiques, dans la perspective de regrouper ou d’éviter des guerres entre grandes métropoles. Mettant en valeur les finalités d’efficacité des territoires, on a omis de mettre en exergue le moteur de celle-ci : la cohérence entre les identités des territoires.
Mais imaginer une fusion des départements n’est pas vain, à condition que la procédure permette d’élargir le cadre départemental dans une perspective « humaine, concevable à l’échelle du citoyen », rétorque quant à elle Marie-François Bechtel. La député préconise ainsi de coupler cette réforme à une carte scolaire, judiciaire, sanitaire, afin que les services publics puissent y exister. Selon elle, la survie des communes dépend de la prise en compte de la disparité du territoire français[9].
En somme, améliorer les dispositions quant à la décentralisation nécessiterait de garder pour horizon la République qui la structure, dans le respect de ses principes (égalité citoyenne, unité du territoire, démocratie). Sans quoi cette réforme risque de constituer une sorte de puzzle sans fondement, de ne faire étalage que de son biais technocratique.
Source : Quel modèle territorial pour la République ? lundi 28 septembre 2015, maison de la Chimie. Fondation Res Publica, n°93.
[1]Les coûts directs engagent ainsi la région à octroyaer avantages et conditions sociales aux salariés sur la base des financements de la région la plus généreuse. Il en va de même sur les dotations adressées aux lycéens, qui se basent également sur la même formule. Il faut également tenir compte des coûts de restructuration administratives et des coûts de coordination.
[2]Quel modèle territorial pour la République ? lundi 28 septembre 2015, maison de la Chimie. Fondation Res Publica, n°93, p.12.
[3] L’intervenant prend l’exemple de Nantes, pour laquelle il a travaillé (ville et métropole), soulignant que si Nantes a économiquement dépassé Rennes dans l’Ouest, cela n’est dû qu’à une réactivation de « l’esprit nantais », consciente des enjeux locaux inhérent à sa ville et sa métropole.
[4]La député prend l’exemple de l’affaire de la Chartre des langues régionales et minoritaires.
[5]Quel modèle territorial pour la République ? lundi 28 septembre 2015, maison de la Chimie. Fondation Res Publica, n°93, p .23.
[6] Charles Maurras, Quand les Français ne s’aimaient pas, Paris, Nouvelle Librairie Nationale, 1924, p.198.
[7]Elle soulève en ce sens que la délégation de certains conseiller régionnaux à ces structures auraient permi une meilleure cohérence ; pour autant, cela signerait la fin de l’éelction des conseillers régionaux au suffrage universel direct et à la proportionnelle, ce pourquoi elle pense que cela ne va pas s’opérer.
[8]Quel modèle territorial pour la République ? lundi 28 septembre 2015, maison de la Chimie. Fondation Res Publica, n°93, p.20.
[9]La spécificité des communes françaises est relative au pouvoir qu’il y est octroyé au maire. Pouvoir régalien, incluant le maintien de l’ordre public ; prérogative pour laquelle, selon Bechtel, la commune ne risque pas de disparaître facilement.