France Culture s’interroge sur la radicalisation en prison
France Culture proposait, le 25 mars 2016, une émission dont le thème était : « Radicalisation en prison : les clés de la détection ». Ce magazine a été proposé par Florence Sturm., qui s’est rendue à l’Ecole nationale de l’administration pénitentiaire. Elle interrogeait David Vallat, ancien djihadiste, et Géraldine Blin, directrice du projet « Lutte contre la radicalisation » à l’administration pénitentiaire. France Renaissance vous propose une synthèse neutre de son contenu.
A l’heure actuelle, la plupart des jeunes délinquants ne connaissent pas la religion et c’est à arrivés en prison qu’il la découvre. C’est lorsqu’ils sont esseulés que les prisonniers risquent de tomber dans les dérives de la « radicalisation ». Pour les recruteurs djihadistes, les détenus présentent trois avantages : ils sont en rupture (avec la société, la famille, …), ils ne craignent pas les transgressions à l’échelle de la loi et ont un accès facilité à la violence. Partant du présupposé qu’il n’existe aucune alternative à la déradicalisation, le patron d’émission souligne qu’il est nécessaire de s’assurer que les jeunes djihadistes sortis de prison soient bien déradicalisés.
Nombre de terroristes sont passés par la case prison ; ce phénomène n’est pas nouveau. Pour lutter contre ce phénomène mortifère, toutes les causes du djihadisme doivent être traitées. Celles-ci sont bien souvent d’ordre psychologique, socio-économique, idéologique, ou relèvent de la quête spirituelle. Mais la déradicalisation est un phénomène coûteux, impliquant de nombreux acteurs.
Peut-on détecter et prévenir de tels comportements en prison ?
Le gouvernement vient de débloquer une enveloppe de 80 millions d’euros pour le système pénitentiaire, permettant de faire appel à près de soixante aumôniers musulmans. Trois fois moins nombreux que les aumôniers catholiques, ils sont peu nombreux en regard du taux important de musulmans peuplant les prisons – soit près de 60% des effectifs dans les maisons pénitentiaires, selon un aumônier musulman.
L’école nationale d’administration pénitentiaire (ENAP) est un établissement public administratif rattaché au ministère de la Justice, relevant de l’autorité de la direction de l’administration pénitentiaire. Cette dernière a pour mission d’octroyer aux fonctionnaires pénitentiaires une formation professionnelle théorique et pratique avant qu’ils n’accèdent à un emploi. Les étudiants y apprennent des techniques d’intervention physiques mais également les manières d’aborder des comportements psychiatriques. L’enseignement de la déradicalisation n’y est pas vraiment novateur, bien qu’il ait été renforcé ces dernières années. Faire de chaque surveillant un spécialiste est impossible : mais les sensibiliser à la question est nécessaire. Le problème est traité de manière pluridisciplinaire (représentants du culte, psychologues, surveillants…), qualité indispensable pour détecter, prévenir ce phénomène de radicalisation en détention.
Le travail de déradicalisation est actuellement beaucoup plus contraignant : les détenus se font discrets et maitrisent davantage les technologies de communication, l’art de la dissimulation (la taqiya). « On n’est plus dans la logique du ‘’barbu qui va faire ses prières’’ », explique un lieutenant du pénitentiaire. La taqiya (dissimulation) et la hila (ruse) participent de procédés complexes, qui rendent le travail de décèlement de la radicalisation des individus difficile. L’individu concerné va en effet se fondre dans la masse, allant jusqu’à consommer de l’alcool, manger du porc pour ne pas se faire remarquer. Il estime que, dans son cœur, Dieu seul sait quelle est la réalité du Coran. « La détection ne se fait plus comme avant sur des grilles assez simples », indique Géraldine Blin. « Désormais, on n’est plus sur une méthode de détection en commun. On essaie de repérer les individus vulnérables, perméables, prêts à rentrer facilement dans la voie de la radicalisation. »
De véritables idéologues des prisons tiennent un discours rôdé ; il ne faut pas non plus sous-estimer l’adhésion de circonstance, visant à se fondre dans la masse, à passer dans la tranquillité le reste de sa période d’incarcération. Cette adhésion de circonstance doit cependant être nuancée : car l’une des conditions de recrutement de djihadistes est l’adhésion du candidat, permettant une surveillance moins perpétuelle de la personne, précise David Vallat, ancien djihadiste.
L’objectif de la déradicalisation n’est pas de supprimer toute trace religieuse en l’individu concerné, mais d’encadrer et de suivre l’exercice de son culte. Dans la lutte, la première des clefs est la connaissance. La connaissance évite l’amalgame. Sur le plateau de France Culture, on indique qu’il ne faut pas tomber dans le causalisme systématique. Il convient de différencier ce qui relève de la pratique religieuse classique de la démarche de rejet, de rébellion, voire d’auto- exclusion, pour ne pas créer une dynamique suicidaire, que l’on retrouve par exemple chez le radicalisé violent. Le clivage est très souvent à l’origine de cette entrée dans la radicalisation violente. Il faut donc être vigilant, avoir une écoute objective pour pouvoir créer les conditions du partage de l’information.
La crise de radicalisation intervient durant quatre à huit semaines. Une fois radicalisé, il est important de déceler chez l’individu s’il est victime d’une radicalisation rigoriste, ou d’une radicalisation au service d’un projet de remise en question de l’individu, de l’environnement dans lequel il ressent différentes formes d’injustices et qu’il espère combattre par des méthodes extrémistes. La connaissance doit pouvoir permettre, dans un deuxième temps, de rentrer dans une relation avec l’individu, afin de déceler une éventuelle tentation à la violence.
Pour différencier le pratiquant assidu du fanatique, d’autres interventions sont opportunes. Le recours à des psychologues en est une forme efficace. Le personnel pénitentiaire ne peut donc effectuer ce travail seul. L’administration pénitentiaire recrute en ce sens du personnel qualifié, issu d’horizons et d’expériences diverses. « Le protocole précis à mettre en place reste toutefois à déterminer », précise l’un des gestionnaires du système pénitentiaire.
En France, des centres d’internement réservés aux radicalisés viennent d’être créés, afin de pouvoir surveiller avec assiduité les comportements de ces individus. L’objectif ? Les remettre sur le droit chemin et éviter une contagion de leur mode de pensée. D’autres approches sont exercées à travers le monde : le mentorat, soit le tutorat individuel, processus qui a l’avantage d’éviter un risque de sur-radicalisation d’un groupe entier. Car il suffit seulement d’un chef de fil charismatique pour sur-radicaliser un groupe d’individus déjà radicalisés. Le tutorat doit toutefois être réalisé « sur mesure » et chaque tuteur doit pouvoir entrer dans une relation de confiance avec le détenu. L’origine social du tuteur doit généralement être la même que celui de l’individu en question, afin que le premier soit plus crédible aux yeux du second. Les anciens djihadistes ont donc clairement leur place dans ce dispositif.
La démarche française comporte toutefois un inconvénient : la création d’une sorte de statut de kaïd des individus radicalisés, qui risque d’attirer les autres détenus. « Il faut débattre publiquement de l’utilité de ces centres », conseille le politologue Abdelasiem EL Difraoui, spécialiste de l’Islam et du djihadisme. Proposer un accompagnement adapté à ce public est l’intention d’un tel dispositif ; à condition que ce moment de la détention ne soit qu’un passage momentané…. Il faut faciliter l’évaluation préalable des individus pour permettre une prise en charge adaptée, explique de son côté Géraldine Blin.
David Vallat préfère quant à lui parler de démobilisation. Son expérience de djihadiste lui fait penser que l’effet de groupe est un risque réel, auquel le dispositif français devra se confronter. « Ces individus mis à l’écart risquent de bénéficier d’une aura supplémentaire vis-à-vis des autres détenus dont on n’a pas besoin de les gratifier », estime-t-il. A court terme, la réponse contre le prosélytisme est efficace. En revanche, à moyen-terme et à long terme, elle sera parfaitement contre-productive. L’état-major de l’Etat Islamique s’est rencontré en détention ; il ne faut donc pas faire des conditions de détention le terreau d’un réseau qui se constituera ensuite à l’extérieur. S’ils sont dispersés lors de leur détention, ils ne risquent pas de se retrouver à leur sortie.
Dans tous les travaux de déradicalisation, la réintégration doit avoir une place. « Ce qui m’a réconcilié avec ma citoyenneté, conclut David Vallat, c’est le traitement qu’on m’a réservé. Le sort qui m’a a été réservé par ceux que je considérais comme mes adversaires étaient bien plus enviable que celui que me réservaient ceux que je considérais comme mes amis. Malgré mon adversité, mon comportement belliqueux, la France ne m’a pas traitée en dehors du champ de l’humanité ».