Le transhumanisme : une question de calendrier ? (Professeur John De Vos)
Utopia est un mouvement politique qui organise des évènements et conférences à Paris et en province. A la tête d’une maison d’édition, il se présente comme une « coopérative citoyenne » populaire, se déclare alter mondialiste, féministe et écologiste. L’organisation donnait le 11 octobre, une conférence sur le thème du transhumanisme – Transhumanisme, stop ou encore ?, par le professeur John de Vos, docteur ès biologie moléculaire dont les travaux portent notamment sur la question des cellules souches. L’invitée, Flore D’Ambrosio-Boudet, agrégée de philosophie, et doctorante en philosophie à l’université Paris Ouest Nanterre, est membre de l’Institut Momentum.
I. Les « progrès » médicaux
La question des cellules pluripotentes et la modification du génome humain constitue deux exemples de « progrès » médicaux que les intervenants ont souhaité mettre en exergue.
- Les cellules pluripotentes
Les travaux scientifiques réalisés sur les cellules souches sont nécessaires à la compréhension de l’avancement du transhumanisme. Les IPS (CSP en français) sont des cellules souches reprogrammées, cellules pluripotentes. Il existe, en effet, différents types de cellules souches :
- Les cellules d’adultes
- Les cellules neurales
- Les cellules souches pluripotentes
Les cellules souches pluripotentes donnent tous types de tissus de l’être humain. Elles sont utiles à la réparation de dommages médicaux importants et de toute nature. Les intervenants ont ainsi souligné qu’elles constitueraient une alternative à l’utilisation des cellules embryonnaires, qui ont les mêmes dispositions biologiques.
S.Yanamaka, prix nobel en 2012, a développé un protocole pour activer ces gênes. Ainsi, les cellules prélevées sur un être humain adulte et passées par le protocole de Yakanama donnent des cellules pluripotentes. On peut produire des cellules cardiaques, neuroblastes ou sanguines à partir de cellules de peau. Ces cellules ont le même comportement que les cellules pluripotentes embryonnaires.
Lesdites cellules comportent plusieurs volets d’application possibles :
- La modélisation in vitro d’organes humains ; qui permet l’étude du développement d’un cœur par exemple, mais aussi des pathologies.
- La production d’une source illimitée pour la médecine régénérative.
- Le moyen de rajeunir des cellules âgées, voire sénescentes. Un retour à l’état de cellules embryonnaires.
Ces avancées posent cependant des questions d’ordre éthique et moral. Les avancements de l’étude des cellules souches comme un moyen de trouver des traitements notamment contre les maladies incurables touchant les jeunes personnes pourraient toutefois permettre de guérir les patients atteints de mucoviscidose en remplaçant les tissus des poumons. « Qu’en est-il lorsque l’on change les standards de vie humaine, lorsque l’on met en route la « machine à remonter le temps » ? », s’interrogent les intervenants. Le professeur a ainsi appelé l’attention de l’auditoire sur le danger de vouloir « maîtriser le temps » dont on commence à vouloir « gommer ses stigmates ».
L’avènement de ce travail reste tout de même un obstacle : car comment intégrer ces cellules dans le corps ?
- La modification du génome humain
L’ADN stocke les informations du vivant. On le décrit avec des suites formées des quatre lettres ADC et G. L’ADN est une structure en double hélice très stable, qui permet de confirmer les informations de gènes en gènes. Il a la capacité de se recréer, de se réparer immédiatement en cas de cassure. L’ADN forme le patrimoine génétique en tant qu’espèce mais aussi en sous-catégorie, avec des spécificités au sein des familles – la taille par exemple. Ce patrimoine est enfermé dans un noyau qui constitue un véritable coffre-fort.
« Comment former un être humain complet à partir d’une cellule ? », s’interroge-t-on du côté de la tribune. L’ADN renferme la copie du plan entier de l’être humain, que l’on représente par 3 milliards de lettres. Chaque division cellulaire contient le plan complet de l’organisme, soit le « plan de vie » pour les organes. De par ses caractéristiques, toute modification d’ADN devient difficile. Les scientifiques mènent une quête pour arriver à briser ce coffre-fort. Mais cela à déjà été fait en dehors d’une cellule, en reconstruisant le mécanisme. Ainsi furent créées des souris homologues, des souris transgéniques. Une nouvelle technique issue du monde de la bactérie vient de permettre les modifications du génome humain : le CRISPR-Cas9. Avec cette technique, la médecine se révèle capable de proposer une modification dans le génome jusqu’à 50% de son intégrité. On ouvre donc la porte aux modifications du génome humain.
II. La création de « nouveaux humains »
- Changer l’être
Produire des ovules issus de ces nouvelles cellules souches ou modifier le génome donné par les parents : telles sont les nouvelles perspectives de la médecine, visant à éviter les maladies génétiques. Une démarche qui pourrait également ouvrir la voie au choix des caractéristiques physiques d’un fœtus : la taille, la couleur des yeux, des gamètes de certains donneurs choisis pour leurs QI. Ce système ne s’appliquant pas qu’à un individu mais aussi à toute sa descendance….
Avec une technique dite de « dépoussiérage » du génome humain, on veut traiter les risques de cancers et maladies héréditaires, mais aussi les déterminants propres d’un être humain (encore une fois, la taille, par exemple).
La question de la légitimité d’une telle opération scientifique soulève de nombreuses interrogations. Même si la lutte contre les maladies génétiques parait souhaitable et moralement acceptable, une telle démarche nous entraine inexorablement vers une « correction » des êtres humains. Il existe donc des risques de dérives, de création d’ « enfants à la carte » via des gamètes corrigées. Ainsi on peut déjà choisir son donneur de gamètes aux Etats Unis, ce qui tend à devenir un « supermarché d’attributs ». Les scientifiques pensent déjà à créer des individus augmentés. Soit des attributs non existants dans la nature de l’homme qu’on ajouterait à ce dernier, manifestés par la capacité de faire bénéficier à l’homme de l’audition d’ultrasons, de voir les rayons, ou encore d’atteindre un QI inimaginable. C’est l’illusion d’un « super-homme ».
- Une ouverture au transhumanisme
Les partisans du transhumanisme considèrent le handicap, la souffrance, la maladie et la mort comme une tare à transcender. Ils prônent l’amélioration des caractéristiques physiques et mentales des êtres humains par le biais de la technologie. Certains « gourous » du transhumanisme occupent des places de premier ordre. Par exemple, Ray Kurtzweil a été recruté par Google et occupe le poste de directeur de l’ingénierie. Ce même groupe a fondé une start-up sous le nom de Calico, organisme dévoué à la lutte contre le vieillissement. Ses partisans aspirent à autre chose que ce qu’est l’être humain aujourd’hui. Jusqu’ou peut-on reculer la mort ? Peut-on souhaiter « la mort de la mort » ?
« Pourtant la mort apparait comme l’un des carburants de la vie », indique l’un des conférenciers. De plus, les conséquences d’un rallongement de la vie dépasseraient l’être humain puisqu’il n’est pas programmé pour cela. Dès lors, quid de la génération des survivants, espérance morbide, inégalité de moyens face à l’espérance de vie ? L’immortalité a en effet un coût onéreux… Dès lors il faut apprendre, selon John de Vos, à concilier l’apprentissage de la mort avec le désir de vie.
III. Les dangers du transhumanisme
- Gradient du transhumanisme : de la dérive des progrès médicaux
Aujourd’hui, les progrès médicaux sont perçus comme une fin souhaitable puisqu’ils apportent des solutions aux maladies que l’on ne sait pas encore soigner. Le second degré serait un rallongement de la vie, l’utilisation de la science comme d’une machine à remonter le temps. Un degré encore plus élevé serait l’augmentation des capacités humaines. Le professeur De Vos précise sur ce point que cette théorie ne tient pas de la science fiction ou de la dystopie et que la confrontation à un tel système pourrait advenir d’ici peu…
On part donc du projet d’éviter les décès prématurés, pour aller vers un prolongement de la vie et même la création d’un nouvel être humain. Ce ne sont pas des desseins scientifiquement très différents mais progressivement, les démarches dites « sociétales » pousseront de plus en plus vers les degrés élevés de l’utilisation des progrès médicaux. Il s’agit donc bien ici de différence de degrés d’utilisation et non de nature. Pour Jon de Vos tout cela n’est « qu’une question de calendrier ».
L’interruption de la recherche médicale est considérée comme une « insulte à la souffrance ». De fait : on ne pourra pas limiter le champ des connaissances, ni de la recherche. On connait dans notre société une vraie religion du progrès, un culte de l’abondance matérielle : quête perpétuelle de la corne d’abondance et la Fontaine de Jouvence. Cette religion dans le progrès se substitue à la foi chrétienne. (On peut tout résoudre par le progrès, qui peut tout et dont le triomphe sera total.) Pourtant, on se confronte déjà aux limites physiques de notre environnement, comme le réchauffement climatique ou l’extinction d’espèces vivantes. Ainsi nait le cauchemar de l’homme augmenté, du surhomme condamné à errer sur terre.
Et le professeur De Vos de souligner : « Nous sommes intoxiqués par la croyance dans le progrès et la croissance ». Eviter l’écueil du transhumanisme nécessiterait dans cette perspective de passer à la décroissance, sortir d’une société économique, décoloniser notre imaginaire, s’en remettre à la frugalité et au partage.
- Transhumanisme et philosophie
Flore D’Ambrosio-Boudet, militante « de gauche », famille politique dans laquelle elle indique ancrer son discours, indique en premier lieu que la nature représente une contrainte et amène un désir d’émancipation. Désir de liberté héritier des pensées des lumières. En ce sens, le progrès serait le moyen d’atteindre cette liberté. Si l’on considère la nature et l’homme comme un plastique, on se trouve dans la position de façonner la matière. Le transhumanisme pourrait être le moyen de notre propre émancipation face à la nature. Pourtant il pourrait aussi prendre des formes dominatrices et esclavagistes.
Le savoir amenant le pouvoir, la connaissance et le surpassement de la nature sont une forme de pouvoir ; et non plus d’exaltation. On oscille ici entre le fantasme et la peur face à l’avenir et la science. On constate aussi une certaine « fatigue » d’être soi dans un environnement inquiétant. On peut nourrir les rêves, amener un effet thérapeutiques via cette religion du progrès. Ces rêves sont dégressifs et ramènent à l’état d’enfants qui n’acceptent pas l’âge adulte. Selon l’agrégé de philosophie, il faudrait devenir acteur de notre propre existence en prenant actes de nos responsabilités…
Nota bene. Cette note se veut un compte-rendu sur le ton de la neutralité de la conférence UTOPIA du 11 octobre sur le thème : « Le transhumanisme : stop ou encore ? »