Énergie nucléaire : quelle ambition pour la France ?
La Société Française d’Energie Nucléaire (SFEN), créée en 1973, rassemble plus de 4000 professionnels de l’industrie, l’enseignement et la recherche. La Société a achevé un livre blanc visant à orienter le quinquennat à venir. Pour la SFEN, le nucléaire constitue un atout pour la France, tant sur le « socle de notre stratégie économique, [qu’]industrielle et climatique ». Les avantages de la filière sont nombreux : avantage compétitif pour les entreprises, électricité bon marché pour les ménages, … : la filière nucléaire suscite près de 220 000 emplois dans plus de 2 500 entreprises et exporte 6 milliards d’euros de biens et services.
Alors que la filière propose une électricité à 94% bas carbone, en faisant un pays engagé dans la lutte contre le réchauffement climatique, le marché de l’industrie nucléaire connaît des difficultés économiques internationales (découragement des investissements à long terme) et internes (retard sur les grands chantiers).
Sûre que la filière nucléaire est un domaine d’avenir, et dans la perspective où l’OCDE prévoir de doubler sa capacité nucléaire mondiale d’ici 2050[1] – notamment « pour répondre aux besoins croissant des populations (1.2 milliards de personnes n’ont pas accès à l’électricité dans le monde) », la SFEN propose six mesures pour le prochain quinquennat.
- L’avenir du nucléaire : regard tourné vers l’Union Européenne ?
« Faire de la France le pays où s’invente le nucléaire du futur » : derrière la première proposition de la SFEN se trouvent les ambitions d’une officine aspirant à un secteur nucléaire à l’avenir « plus compétitif et plus flexible », comportant des systèmes électriques porteurs d’énergies renouvelables variables et des avancées en matière de « sécurité intrinsèque et de gestion des matières et des déchets ». Ces différentes observations s’appuient sur le développement de ce type de filières à l’international, à l’instar des Etats-Unis – où ce domaine est épaulé par une cinquantaine de start-up financées par des investisseurs privés- la Russie, ou la Chine. L’objectif visé par ces différents exemples reposent sur la recherche de nouvelles solutions bas carbone contre le réchauffement climatique « mais aussi d’un point de vue géopolitique, le leadership technologique sur les infrastructures énergétiques de demain », souligne à juste titre la note.
Pour répondre à cette première exigence, la SFEN propose de lancer une mission dénommé « French Tech Nucléaire » permettant de « promouvoir et développer l’écosystème et l’esprit français autour des systèmes nucléaires du futur ». Un modèle de développement qui nécessitera de mettre de meilleure façon en exergue les compétences françaises en ce domaine, de développer de nouvelles pistes de brevetage et la mise en place d’un programme d’attractivité internationale visant à attirer les talents du monde entier au sein des filières françaises. De même, un tel Paris sur le nucléaire français nécessite des engagements en termes d’investissements : la mobilisation de l’investissement public au travers de partenariats privé-public, de nouveaux modèles de collaboration, ainsi que le fait de tirer parti du potentiel de transformation des technologies numériques sera essentiel pour y parvenir. Enfin, le soutien de la recherche publique[2] sera une donnée nécessaire pour parvenir à cet aboutissement.
Pourtant, l’énergie nucléaire représente la moitié de l’électricité bas carbone européenne. A l’origine du fondement de l’UE, le traité de l’EURATOM visait à « créer les conditions de développement d’une puissante industrie nucléaire » pour garantir l’indépendance énergétique des pays fondateurs. Alors qu’à l’international, la recherche se développe, l’Union Européenne doit garantir son énergie nucléaire pour « atteindre ses objectifs climatiques, garantir son indépendance énergétique, maintenir des prix de l’électricité compétitif ». Une ambition commune doit régir les pays de l’Union Européenne en ce but et la France, pays le moins émetteur de CO2 du G7, doit selon la SFEN retrouver son rôle de leader. Dans ce cadre, la SFEN en appelle à la réforme du mécanisme européen notamment sur la question du CO2 (quotas d’émissions, trajectoire prix-plancher,… ), du marché sur l’électricité, notamment en favorisant des investissements dans les technologies sobres en carbone, nucléaires renouvelables, accession aux projets nucléaires et dispositifs de financements européens (Fonds Juncker,…). Par ailleurs, la SFEN préconise une meilleure coalition des Etats membres visant à soutenir les initiatives des pays favorables au nucléaire au sein de la gouvernance EURATOM, laissant une voie ouverte à la contestation des pays qui y sont hostiles (Allemagne,…). Enfin, on préconise un lancement renouvelé de la recherche européenne sur les nouveaux concepts du nucléaire (réacteurs de fissions), en multipliant par 2 ou 3 les budgets d’EURATOM, l’investissement dans des prototypes européens et l’intégration de la recherche nucléaire dans le cadre de l’initiative intergouvernementale.
- Pour une meilleure efficacité énergétique
Afin de rendre l’industrie nucléaire plus efficace, il convient de procéder à un « choc de simplification » de la chaîne de contrôle nucléaire. Exigences réglementaires, procédures industrielles, modalités d’inspections, sanctions en tout genre : la chaîne de contrôle dans le domaine nucléaire est complexe et son évaluation pèse sur la compétitivité, la capacité d’innovation de celle-ci, … Pour atteindre cet objectif, la SFEN propose, en lien avec l’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN), l’établissement d’un groupe de travail sous autorité de l’Etat[3] visant à examiner les voies de contrôle. L’ASN recevrait par ailleurs un pouvoir et un devoir d’interprétation juridique, qui lui permettrait de hiérarchiser les dossiers en fonction de l’évaluation des risques constatés et de mieux évaluer la gestion des déchets et leur répercussion sur la santé publique et la protection de l’environnement. Il est également préconisé de conférer aux entreprises (PME / ETI) un cadre stable pour la réglementation et son application[4].
Par ailleurs, la France a démontré, en substituant l’énergie nucléaire aux énergies fossiles dans les années 1970, qu’elle pouvait proposer un modèle de réussite de la transition énergétique en « décarbonant » son électricité (94% de l’électricité française est « bas carbone »). A l’heure actuelle, une nouvelle vague de substitution de la sorte peut s’opérer dans le domaine du transport et de l’habitat. En premier lieu, il s’agirait de soutenir le développement de la voiture électrique, le secteur du transport représentant près de 29% des émissions de CO2 à l’heure actuelle. D’ici 2050, 45% de véhicules devraient être hybrides et électriques, afin de permettre une division par cinq de la demande en produits pétroliers et la réduction des émissions de CO2 et de la pollution de l’air. Le maintien des aides publiques pour l’achat d’un véhicule électrique jusqu’à l’installation de la compétitivité de la branche sera également essentiel[5] pour encourager l’achat de ce type de transport. En matière de logement, la réduction des émissions de CO2 doit s’inscrire, dans le cadre de la réglementation thermique 2018, comme un objectif prioritaire. Dans ce cadre, on insiste sur la nécessité d’évaluer, à l’aune de la Réglementation Thermique du mandat précédent (RT 2012), un objectif de plafonnement des émissions de gaz à effet de serre par m2 et par an[6]. Enfin, on indique que le nucléaire permet, en plus de la production d’électricité, de nombreuses possibilités sur lesquelles il est possible d’intervenir (production de chaleur par des réacteurs nucléaires ; application « power to gas » de l’électricité nucléaire[7],… ).
- Pour un meilleur pilotage du mix électrique bas carbone
La réduction de la consommation des énergies fossiles (principales sources des émissions de CO2) restant l’objectif prioritaire de la transition énergétique, la SFEN souligne combien une bonne utilisation de la ressource nucléaire pourrait contribuer à renouveler sa production électrique. Afin d’évaluer comment réduire les émissions, chaque action visant à ce but doit être évaluée au regard de son efficacité. Afin de garantir celle-ci, la SFEN propose de consolider le socle nucléaire en anticipant et programmant le prolongement et / ou le remplacement du parc nucléaire actuel. En investissant, à l’instar d’EDF (qui prévoit d’y investir près de 51 milliards d’euros d’ici 2025) dans le parc nucléaire, la filière continuera de produire une électricité à bas coût, « entre 56,4 et 61,66 €/MWh » selon la Cour des comptes. Dans cette perspective préventive, la SFEN préconise d’inscrire au sein des législations à venir la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) pour favoriser les investissements. Elle souligne également qu’il serait temps de « s’affranchir des contraintes de limitation de la part du nucléaire à 50 % de la production d’électricité », puisque il est désormais reconnu qu’une « diminution à 50% de la part du nucléaire en 2025 entraînerait, au moins dans un premier temps une augmentation de gaz à effet de serre dans le secteur électrique »[8] .
Conclusion
Avec 55,8% de taux d’indépendance énergétique, la France est l’un des pays les plus indépendants de l’Union Européenne en matière énergétique. Un coût qui permet au ménage français de payer son électricité 70% moins cher qu’un ménage allemand. Pour la SFEN, « la France a besoin, dans le marché européen libéralisé, de mettre en place des mécanismes de marché qui rémunèrent à leur juste valeur les services apportés par ses infrastructures actuelles, nucléaires et renouvelables ». D’ici 2030, la France devra renouveler son parc nucléaire pour tendre vers une rémunération plus équitable des sources d’électricité bas carbone et assurer la pérennisation de son avenir énergétique. La SNEF propose en cela de prendre exemple sur l’exemple britannique[9] pour encourager les investissements dans la filière nucléaire. Avec le soutien de la Commission européenne – au titre des aides d’Etats, la Société d’Energie française nucléaire espère ainsi préparer le financement de ses nouvelles installations nucléaires.
N.B. Cette note fait la synthèse de L’énergie nucléaire une nouvelle ambition, 6 propositions pour une politique énergétique d’avenir, Société française d’Energie nucléaire, livre blanc 2017.
[1] 70 réacteurs nucléaires sont en construction. Voir p.6.
[2] Par « l’accélération du développement des partenariats publics et internationaux ; la réflexion à de nouveaux supports publics à l’innovation ; la modernisation des infrastructures nucléaires de recherche » par l’usage de nouveaux outils numériques.
[3] Et comprenant les ministères chargés de l’industrie, de l’énergie, de l’environnement, l’institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire, des représentants des 2500 entreprises du secteur,….
[4] Par l’implication des exploitants dans le processus d’élaboration d’un projet, par la diminution du temps de la réglementation en exigences opérationnelles, par l’assurance d’une meilleure stabilité des référentiels de sûreté de la jurisprudence et de la réglementation pour permettre aux TPE / PME un meilleur cadre de travail.
[5] Le Bureau européen des unions de consommateurs (BEUC) a souligné que dès 2020, le coût d’achet et d’utilisation d’une voiture électrique deviendrait inférieur à celui d’une voiture thermique.
[6] Afin que les moyens calculés se révèlent exacts, on compte sur un organisme indépendant « France Stratégie par exemple » pour obtenir « un audit détaillé de l’impact de la RT 2012 sur les émissions de CO2 et les importations de gaz naturel ». Le calcul devra s’opérer de manière totalement transparente, insiste le rapporteur de la note.
[7] Application permettant une meilleure valorisation de la surproduction des énergies renouvelables grâce à leur transformation en hydrogène ou en méthane de synthèse.
[8] Si l’on en croit l’Alliance Nationale de Coordination pour la Recherche sur l’Energie. P.22.
[9] Le Royaume-Uni a mis en place le système des « Contract for difference », qui permet de contractualiser un accord de long-terme entre producteur-investisseur et une contrepartie publique représentant les consommateurs. Un organisme (« Infrastructure K ») d’Etat permet d’apporter des garanties de financements bancaires contre rémuniration et de « soulager ainsi la contrainte de financement ». p.26.