L’industrie française de Sébastopol à Vladivostok
Le crash du vol de la Malaysian Airlines dans l’est de l’Ukraine et l’incertitude autour d’un rôle présumé ou non de la Russie, ou tout du moins des séparatistes pro-russes à relancé le débat sur de possibles sanctions pour la Russie avec un impact important pour la vente. Le Royaume-Uni et les Etats-Unis ont de nouveau appelé la France à ne pas livrer des bâtiments de combat de la classe Mistral à la Russie. Ces contrats signés en 2011 doivent aboutir à la livraison d’un premier navire, déjà construit, à la fin de l’année, et d’un deuxième fin 2016. Ces recommandations, en plus de porter un coup terrible en pleine crise à l’industrie française, seraient si elles aboutissaient un choc pour la souveraineté française. Soumis à un appel d’offre en 2010, cette commande doit être honorée par la France. Le débat actuel est un débat hypocrite, demandant des sacrifices à la France alors que les Britanniques en particulier ne s’engagent pas à pénaliser les oligarques russes très présents à Londres.
La légitimité du contrat
Négocié dès 2008 après la crise en Géorgie, signé en 2011 après un appel d’offre remporté par la France, ce contrat à rapidement suscité des critiques de la part des Etats-Unis. Il prévoit la livraison de deux bâtiments de projection et de commandement (BPC) de la classe Mistral, fleurons de l’industrie française. Il a été remporté par un consortium formé par les industriels français DCNS et STX et les chantiers navals russes OSK. Il porte sur la construction et la vente de deux porte hélicoptères, bâtiments polyvalents pouvant combiner les fonctions de commandement, de transport de troupes et d’hôpital.
Le contrat prévoit la construction, pour une grande partie en France, et la livraison des deux BPC pour fin 2014 (Vladivostok) et fin (Sébastopol), pour 1,2 milliard d’euros. En outre un transfert de technologies pour 220 millions d’euros et la formation des équipages russes, qui est en cours à Saint-Nazaire, sont prévus.
Pour la Russie c’est un moyen de modernisation de la marine russe, ainsi que d’affirmation de sa puissance retrouvée comme en témoignent les noms choisis de Vladivostok et Sébastopol, représentant l’immensité du pays de l’extrême orient jusqu’à la nouvelle frontière de sa partie occidentale. Le choix de la France est la reconnaissance de l’excellence de l’industrie française. Le pays ne peut pas économiquement ni diplomatiquement revenir sur ses engagements.
La nécessité du contrat
Il s’agit d’un contrat de 1,2 milliard d’euros pour les navires et de 220 millions d’euros pour le transfert de technologies, déjà en partie payé. C’est une aubaine, en situation de crise, pour DCNS qui assure la construction dans les chantiers de Saint-Nazaire. La commande, gérée par l’entreprise STX France, sous-traitante de DCNS, a généré un millier d’emplois sur quatre ans, soit l’équivalent de cinq millions d’heures de travail. Si le premier navire est terminé et doit être livré en octobre, le second n’est réalisé qu’à 50%. Les emplois de plus de trois cents salariés sont directement menacés si la construction du deuxième bâtiment ne se fait pas.
Une non livraison serait une catastrophe financière pour la France qui devrait rembourser plus d’un milliard d’euros déjà versé par la Russie. Surtout la France ne saurait pas à qui revendre ces bâtiments conçus spécialement pour les Russes, avec notamment une fonction brise-glace. L’OTAN et l’Europe ont déjà annoncé qu’ils ne paieraient pas et à l’heure des coupes drastiques dans le budget de la Défense, la Marine nationale, déjà équipée de trois de ces BPC n’a en aucun cas les moyens de les racheter.
Surtout la France ne peut en aucun cas revenir sur sa parole donnée, ce serait un terrible message donné à de potentiels partenaires et acheteurs, alors que la vente des avions Rafales est toujours aussi compliquée. Ici c’est encore la souveraineté de la France qui se joue, celui de sa diplomatie. Il est indispensable qu’elle ne puisse être remise en question par certains voisins européens ou par les Etats-Unis. La France a encore une relation privilégiée avec la Russie, par cette relation elle peut encore jouer un rôle pour trouver des solutions diplomatiques à la crise ukrainienne. La crispation des relations entre les Etats-Unis et la Russie ne doivent pas conduire la France à rompre toutes ses relations avec la Russie.
Des demandes hypocrites
Les Etats-Unis demandent régulièrement l’annulation du contrat. Dès avril la secrétaire d’Etat adjointe pour l’Europe a déclaré « Nous avons de manière régulière et constante exprimé nos inquiétudes à propos de cette vente et nous continuerons de le faire ». En juin Barack Obama a annoncé qu’il « aurait été préférable » que la France suspende la vente en pleine crise ukrainienne.
Lundi 21 juillet, le premier ministre britannique David Cameron a prononcé ces mots : « franchement, il serait impensable dans ce pays de mener à bien une commande comme celle qu’ont les Français » estimant qu’on ne pouvait « pas continuer à faire des affaires avec la Russie comme si de rien n’était». La présidente lituanienne, Dalia Grybauskaité, a estimé que « l’Europe doit oser se montrer unie face au terrorisme ».
Le président Hollande a enfin tranché, déclarant que la livraison du premier Mistral, le Vladivostok, aura bien lieu en octobre, conformément à l’accord passé en 2011. Il a justifié cette décision en précisant que « la Russie avait payé ». Il a estimé que la livraison du deuxième navire « dépendra de l’attitude de la Russie » mais qu’à ce stade, « il n’y a pas de sanction décidée qui nous obligerait à renoncer ». Il a en outre ajouté que s’il devait y avoir un renforcement des sanctions à l’encontre de Moscou, « cela interviendrait au niveau du Conseil européen et ça ne porterait que sur du matériel à venir ».
Jean-Christophe Cambadélis, a défendu la position du président de la République en évoquant, en des termes crus « un faux débat mené par des faux culs. » Sa pensée a été précisée par Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères, déclarant « Les Anglais, en particulier, ont été extrêmement aimables, entre guillemets, en disant : « Jamais nous n’aurions fait cela. »[…] Je leur ai dit […] : « Chers amis britanniques, parlons aussi de la finance. J’ai cru comprendre qu’il y avait pas mal d’oligarques russes à Londres… » Un rapport parlementaire britannique vient d’ailleurs de confirmer que des licences, délivrées par le gouvernent britannique, autorisant la vente à la Russie de fusils de précision, de munitions pour armes légères, de gilets pare-balles, d’« équipement cryptographique », de communication militaire et de vision nocturne, étaient toujours en cours.
C’est en effet le sentiment qui ressort de ces demandes, les sanctions sont toujours plus simples et justifiées quand elles n’ont un impact que pour le pays voisin.